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Biblissimo

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Vous trouverez ici des documents visant à une meilleure connaissance de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Ils représentent le fruit de recherches personnelles. Je les mets à votre disposition en vous demandant de respecter les droits d'auteur. Bon travail!


Jn 13. Composition du prologue au discours d'adieux selon l'évangile de Jean

Publié par Biblissimo sur 1 Avril 2018, 14:39pm

Catégories : #Nouveau Testament, #Evangile et Lettres de Jean, #Lavement des pieds

La composition de Jn 13

 

Le récit de la passion de Jésus commence véritablement par celui du dernier repas qu’il prit avec ses disciples. Le lecteur aborde avec émotion, tant du fait des circonstances dramatiques dans lesquelles se trouve le Maître que de son contenu, en particulier de l’institution de l’Eucharistie, de l’identification du traître et de l’annonce des reniements de Pierre. À l’issue du repas et des échanges qui y ont eu lieu, le groupe quitte la maison et se rend de l’autre côté du Cédron, dans un jardin où, selon les synoptiques, Jésus sera en proie à un terrible combat intérieur, prélude à son arrestation et à sa condamnation.

La version de l’évangile de Jean se détache des autres. Tout en conservant ce que le repas a eu de dramatique, l’évangéliste offre à ses lecteurs un long discours avec lequel Jésus fait ses adieux à ses disciples, introduit par le récit de deux gestes commentés et une annonce : le lavement des pieds, la bouchée donnée à Judas en vue de l’identifier définitivement et l’annonce à Simon-Pierre que, malgré sa bonne volonté, il reniera son Seigneur (13, 1-38).

C’est cette introduction qui nous occupe ici. Quel en est le fil conducteur au-delà de la simple prise de connaissance des différents éléments qui la composent ? Comment les relier les uns aux autres ? Quel fut le travail de l’évangéliste à partir des sources dont il disposait ?

Nous nous appuyons sur le résumé de l’analyse qu’en a donné Jean-Noël Aletti en 2006, dans la revue de l’Institut pontifical biblique, Biblica[1]. Nous ne reproduirons pas ce qui concerne la justification de la délimitation de la macro-unité avec le verset 38 comme terminus ad quem. Plus exactement, elle apparaîtra d’elle-même dans le cours de notre développement.

 

  1. Le point de départ

L’évangéliste semble avoir pris comme point de départ de son travail de rédaction l’option de rapporter quatre éléments essentiels reçus de la tradition évangélique, à savoir : 1/ l’annonce de la trahison de Jésus par un de ses disciples et son identification en la personne de Judas ; 2/ l’annonce faite à Simon-Pierre qu’il renierait bientôt son maître ; 3/ un enseignement sur l’exigence du service qui incombe à qui veut être son disciple ; 4/ le tout dans un contexte de préparation à la séparation mutuelle. On peut ajouter la promesse que les Douze seraient récompensés du festin dans le Royaume, très discrète chez Jean à travers la réponse que Jésus adresse à Simon-Pierre : « Tu n’auras pas de part avec moi » (13, 8b).

Les références aux récits synoptiques sont faciles à trouver. Nous nous contenterons de la version lucanienne :

1/ Lc 22, 21-23.

2/ Lc 22, 31-34.

3/ Lc 22, 24-27.

4/ Lc 22, 14-18.

Pour ce qui est de la récompense promise aux apôtres : Lc 22, 28-30.

On constate aussitôt que Jean a refusé de dire quoi que ce soit de l’institution de l’Eucharistie, option qui étonne profondément le lecteur habitué des évangiles (voir Mt 26, 26-28 ; Mc 14, 22-24 ; Lc 22, 19-20 — sans parler de la tradition paulinienne). Cet étonnement n’est pas davantage diminué par la présence en ses lieu et place de la scène du lavement des pieds, absente des autres évangiles.

 

  1. Première étape

Dans un premier temps, l’évangéliste introduit le lecteur au discours d’adieux par une sorte de prologue ; ce sont les versets 1 à 5 du chapitre 13. Trois éléments, transmis par la tradition commune, lui semblent incontournables et donnent au long entretien entre Jésus et ses disciples sa densité et sa perspective propres.

Premièrement, l’évangéliste a choisi de présenter Jésus dans l’attitude de l’esclave lavant les pieds des disciples, image éloquente de son agapè pour ses disciples. Il le fait de trois manières : en intervenant lui-même (en tant que narrateur) ; en donnant à voir (showing) Jésus lavant les pieds des disciples ; en le formulant de façon discursive (telling), notamment à travers un commandement formulé clairement.

Deuxièmement, il transmet l’annonce de la trahison de manière progressive ; cela concerne aussi bien le fait de la trahison à venir que l’identification du son auteur. Il le fait là aussi de trois manières : à deux reprises il dévoile que Jésus sait que personne d’autre ne sait (le lecteur, lui, le saura) ; il donne à voir le geste de la bouchée donnée à Judas, introduit par une annonce préalable, adressée au disciple bien-aimé ; il dévoile enfin de manière discursive les conséquences de cette trahison.

Troisièmement, il annonce le reniement de Simon-Pierre ; pour cela pas besoin de geste ; il suffit que le disciple « tende la perche » à son maître en faisant passer la conversation de l’identification du traître à la question du départ de Jésus : « Où vas-tu ? » Saisissant l’occasion et la développant, Jésus l’infléchit pour lui annoncer qu’il ne pourra pas le suivre (vv. 36-38).

L’ensemble de ce prologue est situé dans la perspective de la mort imminente vue comme départ de ce monde.

 

  1. Analyse rhétorique

Dans une analyse rhétorique, le prologue fait office de partitio : les trois éléments indiqués ci-dessus, dans le rapide résumé que nous en avons fait, seront repris non seulement dans le ch. 13 (dans l’ordre inverse) mais aussi dans la suite du discours d’adieux. Le lecteur ne le voit pas immédiatement, saisi qu’il est par l’intensité de la narration.

L’intrigue se construit donc autour du motif principal qui habite le protagoniste, l’agapè manifestée jusqu’à l’extrême ; de la perspective d’un départ du Maître, imminent et dramatique pour l’entourage ; de la nécessité de dévoiler le traître.

De tout cela, les disciples ne sauront rien par avance ; ils verront les gestes et entendront les paroles sans comprendre.

On note que le prologue de fait aucune allusion au reniement de Simon-Pierre. Serait-ce que la défection du principal des disciples ne paraît pas au narrateur suffisamment important pour "concurrencer" les autres éléments ? En réalité, de façon surprenante pour le lecteur habituel, c’est l’annonce de la trahison qui est le centre du ch. 13. « En n’annonçant pas le reniement dans l’introduction, le narrateur sépare en quelque sorte le reniement de la mort de Jésus — le reniement ne le causera ni ne la précipitera. Placée en fin de macro-unité, cette annonce met néanmoins un point final à l’agapè eis to telos de Jésus pour les siens ; en ce sens donc, le v. 38 souligne l’extrême de cette agapè. »[2]

 

  1. Analyse narrative

En analyse narrative, les vv. 4-5, qui montrent la manière dont Jésus s’est préparé au geste du lavement des pieds, n’ont d’autre fonction que de camper le décor ; ils font donc partie du prologue narratif, et non de l’intrigue, laquelle démarrant avec la réaction de Simon-Pierre : « Seigneur, toi, me laver les pieds ? » (v. 6).[3]

L’intrigue consiste donc dans la progression du dévoilement de l’identité du traître. C’est la surprise de Simon-Pierre, brusquement mis en face de son Kyrios dans la fonction domestique de l’esclave, penché à ses pieds, qui lui donne origine, puisqu’il offre à Jésus l’occasion de dévoiler que le geste désigne une purification totale, avec la précision qu’il y a une exception : l’un d’eux en est exclu. L’intrigue rebondit quand le même Simon-Pierre remet au centre de l’entretien, de façon aussi intempestive qu’avant, le problème de son départ. La question qu’il pose « Où vas-tu ? » apparaît alors décisive pour le reste du discours.

La progression de l’identification du traître passe par une citation de l’Écriture, sorte de flash qui, à défaut de dévoiler le traître, fait savoir au lecteur que l’acte à venir et ses conséquences font partie du plan de Dieu (v. 18c). S’ensuit une déclaration en forme de métalèpse puisqu’elle permet d’établir un lien direct entre le discours et la tradition commune (v. 20). La dernière étape fait appel au pathos quand le narrateur montre Jésus en état de trouble avant de déclarer l’ultime précision, celle qui prépare le geste décisif : « l’un de vous » (v. 21).

Les vv. 11 (voix du narrateur qui interprète les mots voilés de Jésus) et 33 (voix du protagoniste reprenant l’annonce de son départ) interrompent le fil de la narration et leur teneur augmente la tension chez le lecteur (v. 11) ou les disciples (v. 33) dans ce cheminement préparant l’identification du traître ou la dernière intervention de Simon-Pierre, celle qui conduira à l’annonce de son reniement.

 

  1. Analyse structurelle

Avec une lecture attentive, on remarque la répétition de l’association du syntagme hote + verbe d’énonciation (eipein, dire) avec la mention de la supériorité de Jésus sur ses disciples, suivie d’un commentaire dans lequel il dévoile que la réalisation de son geste consiste à « donner » quelque chose. Dans le premier cas, vv. 12 à 20, il donne un exemple ; dans le second, vv. 31 à 34, il donne le commandement nouveau.

La composition du chapitre 13 met ainsi en parallèle d’une part le lavement des pieds et son commentaire et d’autre part le don de la bouchée et son commentaire.

Les exégètes ont quelque difficulté à relier les versets 16-20[4] au reste de la macro-unité. Il est important de prendre en compte qu’ils n’interrompent pas le cours de la narration, puisque Jésus continue de parler en voix directe, autrement dit qu’il ne s’agit pas d’une interruption due au narrateur. De plus, ils poursuivent assez naturellement la réflexion sur le rapport kyrios / serviteur tout en augmentant chez le lecteur la tension entre le savoir de Jésus et le non savoir des disciples. L’élément particulier de ces versets, et sans doute leur raison d’être, est, sous forme de métalèpse de fournir à l’évangéliste l’occasion d’insérer un élément du « croire johannique », thème essentiel de l’ensemble de son récit, suivi d’une donnée commune aux synoptiques, l’identification entre l’envoyé et celui qui l’a envoyé.

 

  1. Prolongement

Il apparaît que le chapitre 13 de Jean est le fruit d’un travail rédactionnel précis, reliant étroitement plusieurs traditions reçues et l’éclairage que la tradition johannique lui apporte. Le centre en est le drame de la trahison de Jésus par un de ses disciples.

En tissant manifestation de l’agapè, perspective du départ et commandement, qui seront repris et développés par la suite, le chapitre 13 donne l’ancrage narratif de Jn 14-17.

Le prologue du discours d’adieux introduit-il à une intrigue de révélation ou à une intrigue de résolution ? Comme toujours, dans l’évangile de Jean, les deux sont indissociables. La question reste ouverte.

 

 

 

 

[1] « Jn 13. Les problèmes de composition et leur importance », in Biblica 87 (2006/2), pp. 263‑272. L’auteur reprend et critique (corrige ?) deux analyses préalables, l’une de Yves Simoëns, l’autre de John F. Moloney.

[2] J.-N. Aletti, art. cit., p. 271.

[3] Le rôle de Simon-Pierre est ici décisif pour la mise en œuvre de l’intrigue ; puis il disparaît de la narration, ne réapparaissant que lors de l’accomplissement de l’annonce de son reniement (18, 15-18.25-27). De même, Judas, une fois sorti, n’apparaîtra plus dans la narration jusqu’à la réalisation de son projet de trahison, dans le jardin au-delà du Cédron (18, 1-11).

[4] Très certainement ajout postérieur, mais en phase avec l’ensemble du ch. 13.

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