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Biblissimo

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Vous trouverez ici des documents visant à une meilleure connaissance de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Ils représentent le fruit de recherches personnelles. Je les mets à votre disposition en vous demandant de respecter les droits d'auteur. Bon travail!


COURS D'INTRODUCTION A SAINT PAUL. V: Les sources concernant la vie de saint Paul

Publié par Biblissimo sur 8 Août 2011, 10:26am

Catégories : #Corpus paulinien

Ce chapitre présente les sources nous offrant des repères fiables relatifs à la vie de saint Paul ainsi que le milieu dans lequel il a évolué.

 

Éd. Cothenet, Petite vie de saint Paul (Petite vie), DDB, 1995.

1. Les éléments biographiques de Paul selon les Actes des Apôtres[1]

O. Flichy, La figure de Paul dans les Actes des Apôtres : un phénomène de réception de la tradition paulinienne à la fin du premier siècle (LD 214), Cerf, Paris, 2008.

 

D. Marguerat Introduction au N.T., p. 121-123.

 

Les études modernes ont montré que Luc a utilisé des sources fiables mais a aussi pris des libertés en présentant Paul de manière à servir un projet à multiples facettes. Un des éléments qui ont orienté la rédaction des Actes : montrer que Paul et le christianisme dont il est un des principaux protagonistes doivent être compris à l’intérieur du judaïsme. C’est extrêmement important puisque cela donne du crédit aux yeux des lecteurs romains, le judaïsme étant religion licite, plus ou moins connue et respectée, avec ses références politiques et religieuses. Ceux qui savent que Paul et ses disciples sont séparés de la communauté juive apprennent ainsi que ce n’est pas leur choix, mais le fait d’une incompréhension de la part des autorités juives, incompréhension liée uniquement à des questions religieuses et sans danger pour l’ordre public.

C’est pourquoi, entre autres différences par rapport à ce que nous savons de Paul par ses lettres, Luc présente un Paul irréprochable aux yeux des Juifs.

Voici comment D. Marguerat (p. 121-123) résume les principales divergences entre les Actes et les Lettres :

1) L’occasion de l’assemblée de Jérusalem et le contenu des prescriptions ne sont pas identiques : Paul en Ga 2, 1-10 récuse toute concession de sa part et affirme que sa mission a été validée par les autorités de la communauté de Jérusalem, la collecte en faveur des pauvres scellant cet accord œcuménique. Luc parle au contraire d’une prescription minimale de règles alimentaires imposées aux païens (Ac 15, 20.29).

2) La circoncision est acceptée par le Paul des Actes mais pas dans les lettres : Paul s’indigne d’un retour des Galates à la circoncision, qui selon lui ruine l’Évangile de la grâce (Ga 5, 1-12 ; 6, 12-15), tandis que Ac 16, 3 mentionne que Paul circoncit Timothée à cause des Juifs.

3) Le passé préchrétien de Paul n’a pas la même valeur : l’apôtre rejette sa piété légale pharisienne dans les termes les plus énergiques (Ph 3, 7), alors que le Paul de Luc s’exclame devant le Sanhédrin : « Je suis pharisien, fils de Pharisiens » (Ac 22, 6). Le Paul des Actes se défend d’avoir rien fait contre son peuple ou les coutumes reçues des pères, la ligne de partage ne se trouvant que dans la foi en la résurrection de Jésus (Ac 23, 6 ; 26, 6-8).

4) On ne trouve aucune trace en Actes des conflits qui ont opposé Paul à ses adversaires (surtout Ga et 1-2 Co), ni de son activité épistolaire.

5) Alors que Paul revendique son titre d’apôtre et s’est battu pour en faire reconnaître l’autorité, Luc réserve le titre aux Douze et attribue à Paul celui de témoin (exception : Ac 14, 4.14).

2. Repères chronologiques

2.1 Repères tirés des Lettres de saint Paul

Ch. Perrot, Les lettres apostoliques, p. 27-28.

D. Marguerat, Introduction au N.T., p. 137-138.

 

Les lettres proto-pauliniennes[2] fournissent sept informations utilisables pour reconstituer la chronologie relative de la mission paulinienne et la succession des lettres de l’apôtre. On accroche ensuite cette chronologie à trois repères historiques fiables.

1) En Ga 1, 13 – 2, 21, on trouve un calendrier continu depuis la vocation de Paul jusqu’à l’incident d’Antioche, situé après l’assemblée de Jérusalem ;

2) En 1 Th 2, 2 ; 3, 1-6 : Paul donne un compte rendu de plusieurs étapes successives ayant précédé sa première arrivée à Corinthe : Philippes, Thessalonique, Athènes ;

3) En 1 Co 16, 8 : en disant qu’il a l’intention de rester à Éphèse jusqu’à la Pentecôte, Paul donne une indication chronologique situant la rédaction de 1 Co à Éphèse ;

4) En 1 Co 16, 8 (3ème voyage missionnaire) : Paul indique son plan de voyage d’Éphèse à Corinthe en passant par la Macédoine ; à harmoniser avec 2 Co 1, 15-16, où Paul dit qu’il a reporté ce voyage « pour ne pas revenir chez [les Corinthiens] dans la tristesse » (2, 1) ;

5) En 2 Co 2, 12-13 et 7, 5-7, nous sommes informés des étapes de voyage de Paul à Troas et en Macédoine [Philippes] sur le chemin de sa 3ème visite à Corinthe ;

6) En 2 Co 9, 4 ; 10, 2 ; 12, 1-4 ; 13, 1.10, Paul annonce sa visite à Corinthe (la troisième)

7) De même, en Rm 15, 14-32, Paul fait connaître son plan de voyage à Jérusalem, à Rome et en Espagne.

2.2 Repères relevant de l’histoire profane

S. Légasse, Saint Paul, p. 126-129 ; 205-206.

 

La concomitance avec des événements de l’histoire profane confirmés par les documents authentiques permet aussi de fixer certains repères assez sûrs.

1) La famine sous l’empereur Claude.

En ces jours-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche. L'un d'eux, nommé Agabus, se leva et, sous l'action de l'Esprit, se mit à annoncer qu'il y aurait une grande famine dans tout l'univers. C'est celle qui se produisit sous Claude (Ac 11, 27-28).

Les historiens ont montré que cette notice pouvait fort bien renvoyer à la période 49-50.

2) Luc rapporte que le soulèvement de la communauté juive de Corinthe contre Paul fut soumis à l’autorité du proconsul Gallion (Ac 18, 12) ; or, une inscription découverte à Delphes nous apprend que celui-ci y fut proconsul dans la période 50-52, plus certainement 50-51.

3) Luc rapporte qu’Aquila et Priscille sont arrivés à Corinthe du fait d’un édit de Claude ordonnant l’expulsion des Juifs de Rome (18, 2 – en fait un petit groupe de Juifs) ; les historiens estiment que Luc a reculé cet événement d’environ 10 ans, puisque cet édit a sans doute été promulgué en l’année 41.[3]

4) Le changement de gouverneur à Césarée (24, 27) a pu avoir lieu soit en 55-56 soit en 59-60 ; les historiens privilégient la seconde période, de sorte que le séjour de Paul dans la prison romaine soit à situer en 58-60.

3. La citoyenneté romaine de Paul

S. Légasse, Saint Paul, p. 28-34.

 

La famille de Paul était sans doute davantage que de simples tisserands en tentes de nomades, puisqu’un aïeul avait acquis la citoyenneté romaine, privilège que Rome n’accordait qu’au compte-goutte à des provinciaux ou à des protégés. Selon les Actes, Paul l’a affirmé lui-même devant le tribun venu l’arracher à la foule des Juifs (Ac 22, 25-29 ; cf. Ac 16, 37) et se préparant à le fouetter : « Un citoyen romain, et qui n’a même pas été jugé, vous est-il permis de lui appliquer le fouet ? »

On sait que la dernière étape de la vie de Paul telle que les Actes nous la rapporte n’aurait pas été la même s’il n’avait pas sorti un "joker", celui de sa citoyenneté romaine. Grâce à elle, il a évité le procès juif et une simple décision du pouvoir romain local et il a obtenu la protection de l’armée et la possibilité de se rendre à Rome pour y être jugé selon la loi romaine. Sans cela, Paul serait mort prématurément soit à Jérusalem, soit à Césarée !

3.1 En quoi consistait ce droit ?

Le citoyen romain se reconnaissait par le port de la toge et son triple nom. Il jouissait de droits particuliers : voix active et passive dans les élections, dispense des châtiments corporels infamants, droit d’appel et de récusation. Il pouvait acquérir, tester et hériter, contracter mariage et exercer le droit paternel. En contrepartie, il était tenu de s’acquitter de l’impôt, du service militaire. Normalement, il parle le latin, la langue officielle de l’Empire.

3.2 Peut-on confirmer la version de Luc ? Si oui, d’où Paul tirerait-il ce privilège ?

Selon le récit des Actes, Paul aurait bénéficié de ce droit par sa naissance.

Hypothèse conjecturale : un aïeul a exercé un rôle dans la ville de Tarse (ou ailleurs) suffisamment grand pour mériter le privilège d’être juridiquement reconnu comme membre de la société romaine, d’accéder aux postes officiels et de bénéficier des garanties juridiques ? Cette situation ressemblerait à celle d’un commerçant hindou de l’Inde du début du XXème siècle auquel le gouvernement colonial aurait accordé la nationalité anglaise et qui serait ainsi devenu pleinement sujet de Sa Majesté. Cela laisserait supposer que la famille de Paul avait un statut social aisé. Et c’est ce statut qui lui a permis d’étudier.

Les historiens ont fait remarquer d’une part que la citoyenneté romaine avait été accordée à des Juifs et d’autre part que les bénéficiaires n’étaient pas pour autant dispensés de châtiments corporels. Autrement dit, la loi n’était pas toujours respectée, en particulier dans les régions éloignées de Rome.

À partir du moment où on considère que Luc ne nous a pas trompés en présentant son héros comme un citoyen romain, on se demande d’où vient cette citoyenneté. Les documents antiques nous apprennent que l’accès d’un Juif à la citoyenneté romaine se faisait soit sur la base d’un service rendu à l’Empire, soit par l’affranchissement de l’esclavage de la part d’un patron possédant lui-même la citoyenneté romaine et la demandant officiellement pour l’esclave libéré. Quand on sait que des milliers de Juifs, notamment originaires de Palestine, ont été envoyés comme esclaves en Asie mineure, la région de Tarse, on estime que la seconde hypothèse est la plus probable dans le cas de la famille de Paul. [4]

4. L’âge et le nom de Paul

En indiquant que l’homme qui gardait les vêtements d’Étienne durant la lapidation de celui-ci était encore "jeune" (entre 20 et 30 ans, selon les usages grecs – Ac 7, 58), Luc situe la naissance de Paul de Tarse[5] environ 14 ans après celle de Jésus. À partir des données historiques présentes dans Actes et Galates, la rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas et la conversion soudaine de Paul a sans doute eu lieu peu de temps après la Pentecôte, deux ou trois ans à peine, un temps suffisant cependant pour que le christianisme pénètre à Damas jusqu’à inquiéter les autorités juives de la ville puis de Jérusalem. Et, si Paul était le chef de l’expédition envoyée vers Damas, cela suppose qu’il avait alors un âge capable d’inspirer le respect et la confiance de la part de ses partisans.

Le nom grec de Paul, Paulos est la transcription grecque du nom latin courant Paulus (sans doute diminutif de pa[rv]ulus = "petit"). Il est facile de reconnaître l’assonance entre le nom hébreu Saulos, transcription grecque de l’hébreu Shaoul[6], et le nom grec Paulos. Les nombreux témoignages de double nom pour des Juifs bien insérés dans la société gréco-romaine du 1er siècle[7] nous permettent de dire avec certitude que, dès son jeune âge, le jeune garçon était appelé de son nom hébreu Saulos dans le cadre familial ou synagogal et de son nom grec Paulos dans les milieux païens. Quand, à partir d’Ac 13, 9, Luc change le nom de Saulos en Paulos, il ne témoigne pas d’un changement de nom mais qu’il y eut un moment où Paul a été définitivement appelé par son nom gréco-romain, nom qu’il portait depuis son enfance. Et on comprend bien pourquoi : il est désormais consacré à une mission qui le positionnera de plus en plus dans le monde hellénistique.

5. Paul le persécuteur du Christ

5.1 Un Juif zélé

Paul, sur le chemin qui le conduisait à Damas, pouvait se réclamer de la figure ardente du prophète Élie : « Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Dieu : les fils d’Israël ont abandonné ton alliance » (1 R 19, 10-14). Ainsi, il dira aux Galates :

« Vous avez entendu parler de ma conduite jadis dans le judaïsme, de la persécution effrénée que je menais contre l’Église de Dieu et des ravages que je lui causais, et de mes progrès dans le judaïsme, où je surpassais bien des compatriotes de mon âge, en partisan acharné des traditions de mes pères » (Ga 1, 13-14 ; cf. 1, 23)

 « Quant au zèle, un persécuteur de l’Église » (Ph 3, 6 ; voir aussi 1 Co 15, 9 ; 1 Tm 1, 12)

C’est en croyant défendre la foi de ses pères que Paul persécutait l’Église de Dieu, dans le sillage de ces zélotes, qui, à la suite d’Élie (1 R 19, 10.14) et des Maccabées, croyaient devoir défendre les droits de Dieu par la force. Avec sincérité, Paul pouvait se réclamer de cette "jalousie" divine et s’en faire le chevalier. Il était cependant ignorant, aveugle, comme tous ses coreligionnaires, qui, dira-t-il dans ses lettres, n’ont pas reconnu en Jésus de Nazareth le Messie et le Fils de Dieu. Ils sont aveugles parce qu’un voile les empêche de reconnaître le Christ : « Leur entendement s’est obscurci. Jusqu’à ce jour en effet, lorsqu’on lit l’Ancien Testament, ce même voile subsiste. Il n’est point retiré, car c’est le Christ qui le fait disparaître. Oui, jusqu’à ce jour, chaque fois qu’on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur. C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé » (2 Co 3,14-16). Les Juifs qui n’ont pas cru dans le Christ « ont du zèle pour Dieu, mais ce zèle n’est pas appuyé sur une juste connaissance des choses » (Rm 10,2). Et Paul témoigne ainsi de sa conversion : « Moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il m’a été fait miséricorde parce que j’agissais par ignorance, étranger à la foi » (1 Tm 1, 13).

5.2 Pourquoi un tel zèle?

Pourquoi Paul, qui apparaît dans ses lettres comme un homme de réflexion, attentif aux appels de Dieu et soucieux de se savoir « justifié », a-t-il pu non seulement rejeter la prédication des disciples du Christ mais les persécuter ? La réponse se trouve certainement avant tout dans sa conviction religieuse.

Une remarque de Paul peut nous mettre sur la piste : « Maudit soit celui qui pend au gibet » (Ga 3, 13-14). Il dit cela du Christ pour montrer qu’il a été condamné, maudit, selon la Loi de Moïse. C’est une manière de dire que Jésus de Nazareth ne pouvait certainement pas être le Messie puisqu’il est mort sur un gibet, signe que Dieu l’avait rejeté. » On trouve cette idée dans un des premiers textes chrétiens, le Dialogue entre Justin et le rabbin Tryphon : « Sur la question de savoir si le Christ doit être déshonoré jusqu’au crucifiement, nous doutons car dans la Loi il est dit du crucifié qu’il est maudit (Dt 21, 23)[8]. […] C’est un Christ souffrant que les Écritures annoncent […] mais que ce soit d’une souffrance maudite dans la Loi, nous voudrions savoir si tu peux nous le démontrer ainsi »[9] ? La crucifixion ne peut être pour le Juif, et par conséquent pour le jeune Shaoul, que le signe d’un échec total, y compris face à Dieu.

Reprochait-il aux chrétiens de prendre des libertés par rapport à la Loi ? Il est difficile de le dire car nos informations ne nous disent pas si c’était le cas quelques années à peine après la Pentecôte.[10]

5.3 Chargé de mission par le Sanhédrin ?

En commentant l’indication fournie par Luc en Ac 26, 12 : « C’est ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands prêtres », S. Légasse donne l’avis suivant : « Il est inconcevable que le grand prêtre ou le sanhédrin ait autorisé Paul à pratiquer des arrestations à Damas et à transférer les chrétiens appréhendés à Jérusalem, car la juridiction du grand prêtre et du sanhédrin était limitée aux onze toparchies de la province de Judée… Une tendance du livre des Actes est d’officialiser le plus possible la persécution juive contre les chrétiens » (p. 65). L’indication d’Actes relève donc plutôt du schème lucanien.

6. La conversion de Paul

G. Lohfink, La conversion de saint Paul (Lire la Bible, 11), Paris, Cerf, 1967.

S. Légasse, Saint Paul, p. 67-78.

 

Le récit de la « conversion de Paul » en Ac 9 est sans nul doute un des plus connus des Actes des Apôtres. Le fait a semblé si important pour Luc qu’il en a reporté trois versions : Ac 9, 22 et 26.

Que peut-on en dire ? Que s’est-il passé ? Au-delà des détails dont l’authenticité nous échappera toujours et en tenant compte du témoignage que Paul donne au chapitre 1 de sa lettre aux Galates, on peut dire que le jeune pharisien zélé a fait une expérience soudaine et puissante, ressentie dans la chair (chute, cécité). Ce fut en premier lieu une expérience religieuse intérieure, sous la forme d’une rencontre personnelle avec le Christ glorifié, en situation de Kyrios et c’est ainsi qu’il faut d’abord interpréter les récits des Actes. Il n’a pas seulement vu quelque chose (ou plutôt quelqu’un) : il a accédé à la foi et il a compris. Le passage de Ga parle explicitement et solennellement de révélation : « Il plut à Dieu de révéler en moi son Fils » (Ga 1, 11).

Devant une telle personnalité tout autant convaincue que droite, le Christ ne pouvait se faire connaître et s’imposer que par un bouleversement radical : les principes, même les meilleurs, comme un rempart peuvent faire obstacle à l’action de l’Esprit, faisait ainsi écran à la nouveauté des desseins divins. Paul avait besoin d’être ébranlé dans sa sécurité intellectuelle et religieuse, dans son indépendance, ce qu’aucun homme ni aucun signe ne pouvait faire. Comment aurait-il pu croire que ce Jésus de Nazareth, livré par le Sanhédrin à Pilate, ce crucifié à la porte de la ville, frappé de la malédiction de Dieu (cf. Ga 3,13)[11] était le Christ, le Messie d’Israël ? Affirmer qu’un crucifié est le Messie, ce n’est pas moins que folie et scandale (cf. 1 Co 1 – 4) dignes du plus vif mépris. La croix est pour le Juif un obstacle, une absurdité, sur le chemin de la foi au Christ, surtout pour un Juif de la trempe de Paul ! Mais lorsque ce même crucifié se manifeste à lui comme le glorifié après sa résurrection, il eut la certitude que Jésus était le Christ, non pas malgré sa mort sur la croix, mais à cause d’elle. Et ce total renversement du jugement de Paul sur Jésus-Christ commande toute sa pensée.

Les raisonnements que Paul préparait pour les opposer à la bonne foi des disciples du Jésus s’effacent brusquement dans la rencontre, qui s’impose plus forte que la certitude de sa foi et de la tradition rabbinique. Le Crucifié est face à lui, glorieux.

Peu de chrétiens ont le temps ou prennent la peine de consulter les deux récits de la fin des Actes ; mais ils sont encore moins nombreux à donner au témoignage que Paul lui-même donne de sa conversion dans sa Lettre aux Galates. Après avoir dit quelques mots des récits des Actes, il nous faudra absolument lire de près ce témoignage.

6.1 Les récits des Actes

D. Marguerat, La conversion de Saul, in : La première histoire du christianisme. Les Actes des apôtres, (LD 180), Cerf-Labor et Fides, Paris-Genève, 1999, p. 269-300.

 

On oublie souvent qu’il n’y a pas un récit de la conversion mais trois. Et que l’on ne peut se contenter de l’un si l’on veut embrasser tout ce que Luc veut nous dire de la vocation de Paul.

Pour simplifier, disons tout de suite que les deux récits de la fin des Actes (ch. 22 et 26) dépendent du premier (ch. 9). En constatant que les récits contiennent des éléments biographiques ou théologiques propres à chacun[12], on peut penser dans un premier temps que Luc a intentionnellement évité que le récit situé en bonne place dans la biographie de son héros (ch. 9) soit trop long, et donc indigeste, de sorte qu’il a reporté certains éléments en deux autres récits. On peut ajouter qu’il lui a semblé tout autant important de rapporter le témoignage du bénéficiaire directement, c’est-à-dire en faisant parler Paul lui-même, et cela en deux situations totalement différentes, l’un face aux Juifs de Jérusalem (ch. 22), l’autre en présence d’une autorité civile ayant pouvoir de vie et de mort sur lui (ch. 26). Cela est certainement vrai, mais il semble cependant évident, pour peu qu’on connaisse le perfectionnisme de Luc écrivain, que chaque récit a sa particularité, notamment du fait du contexte dans lequel Paul se trouve, et qu’il est important de la noter.

Pour une étude plus poussée, voir les trois récits mis en synopse avec des notes en Annexe II.

Dans le premier récit (ch. 9), la vocation du jeune Saul est mise directement en relation avec l’Église ; Paul y entre de manière solennelle et définitive ; pour cela, il doit passer par une participation personnelle au mystère pascal.

La formule entendue par Paul est décisive : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?... Je suis Jésus que tu persécutes" (Ac 22,7-8). Paul pensait s’en prendre à des hommes ; en fait, c’est le Christ lui-même qui, en eux, était enchaîné, emprisonné, bafoué, blasphémé. La révélation donnée à Paul au moment de sa conversion est dans un même temps christologique (« Qui es-tu, Seigneur  ? ») et ecclésiologique. « Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens... »). "Le Christ et l’Église, c’est tout un" (sainte Jeanne d’Arc). Un trait essentiel de la prédication de Paul se trouve là, à la minute même de sa rencontre fulgurante avec Jésus de Nazareth désormais le Seigneur.

Le Christ se manifesta dans une lumière intense : "Une grande lumière venue du ciel m’enveloppa de son éclat. [...] Comme je n’y voyais plus à cause de l’éclat de cette lumière..." (Ac 22, 6,11). Paul, ébloui, devient temporairement aveugle et donc condamné à être conduit par la main comme un enfant. Cette rencontre fut le début d’un long dialogue qui ne connut pas de fin.

Le deuxième récit (ch. 22) présente explicitement l’envoi de Paul en mission chez les païens comme une partie intégrante de la christophanie : en effet, ce trait de la vocation, accomplissant la vocation d’Israël à l’égard des païens, est exprimé dans un discours de Jésus en personne, donc faisant davantage autorité.

Le troisième récit (ch. 26) s’adresse au représentant du pouvoir romain et veut montrer que la voie suivie par Paul ne s’oppose pas aux valeurs de l’Empire. Entre le Christ et Paul, il n’y a plus d’intermédiaire : on ne mentionne plus Ananie. De plus, il met davantage en valeur la mission de prédication aux païens.

6.2 Dans la lettre aux Galates

Paul a vu Jésus (1 Co 9, 1) qui lui est apparu (15, 8) de la même manière qu’aux Onze le jour de la résurrection. Il ne l’a pas reconnu à partir d’une connaissance expérimentale précédente. C’est pourquoi il définit sa conversion ainsi : « Il plut à Dieu de révéler en moi son Fils » (1, 16). Chacun des mots est significatif. Dieu, le Dieu de ses pères (il s’adresse à des chrétiens tentés par les observances juives) ; il lui plut : l’événement est une initiative de complaisance divine ; révéler : terme à résonnance apocalyptique suggérant la transmission directe d’un savoir mystérieux ; son Fils : et pas seulement le sauveur messianique ; "en moi" : le ‘lieu’ où la lumière a été communiquée, et plus encore le nouveau mode de présence du Christ en Paul, selon lequel il dira fréquemment qu’il vit « dans le Christ », ou que « le Christ vit en moi ». Connaître la vie de Jésus de Nazareth mais le combattre, ou nier sa mission divine et son action sur nous, c’est le considérer encore comme « extérieur » à nous, au même titre que Jules César ou tout autre personnage historique ; croire, c’est laisser entrer le Christ dans notre vie, de sorte qu’il devient vivant et agissant, dans un dialogue personnel intérieur authentique.

Paul parle alors de « vocation », d’ « appel » divin : Dieu « qui, dès le sein maternel m’a mis à part (aphorisas) et appelé par sa grâce, daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens... » (Ga 1,15). En parlant ainsi, il date sa mission d’apôtre, de prédicateur de l’Évangile du moment même de sa conversion, de sa première rencontre avec le Christ. De plus, il reprend les expressions par lesquelles étaient définies les vocations de Jérémie et du Serviteur de Yahvé ("Appelé", "dès le sein maternel", "mis à part", "pour annoncer aux nations") :

« Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré/sanctifié ; comme prophète des nations, je t’ai établi » (Jr 1,4).

 « Le Seigneur m’a appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante… 5 Et maintenant le Seigneur a parlé, lui qui m’a modelé dès le sein de ma mère pour être son serviteur, pour ramener vers lui Jacob, et qu’Israël lui soit réuni ;…il a dit : "C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre" » (Is 49, 1-6).

Voir encore : Lv 20, 26 lxx : « Vous serez saints (hagioi) pour moi parce que moi, je suis saint, le Seigneur votre Dieu qui vous ai mis à part (aphorisas) de toutes les nations. »

Cf. aussi Ac 13, 47.

Révélation, vocation et mission sont étroitement liées. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés… » (Rm 8, 29-30). On peut considérer que ce qu’il dit de tous fait écho à sa propre expérience (C.-M. Martini).

6.3 Une vocation prophétique

Cl. Tassin, L’Apôtre Paul. Un autoportrait (Théologie à l’Université), Desclée De Brouwer, Paris, 2009, p. 17-54.

 

Voici comment Cl. Tassin évalue le parcours de « la vocation de Paul selon Paul », c’est-à-dire sur la base de la terminologie biblique reprise en Ga 1, 15-16).

Paul s’exprime sur la base des chants du Serviteur d’Isaïe et de la mission de Jérémie revus à travers le prisme de celle de Jésus (p. ex. les épreuves et l’accusation de vouloir la ruine du Temple) :

- tous deux, le Serviteur et Jérémie, sont témoins d’une mise à part dès le sein maternel (voir Is 49, 1 et Jr 1, 5) ;

- Paul peut situer délibérément son cas personnel dans le cadre de la vocation d’Israël. Car le Serviteur est compris par la tradition biblique comme désignant la collectivité d’Israël[13] ;

- le Serviteur et Jérémie sont l’un et l’autre « lumière des nations » (Is 49, 6 et Jr 1, 5) ;

- leur autorité aux yeux des Juifs est incontestable ;

- leurs figures ont déjà servi à interpréter la mission de Jésus dans la tradition parvenue jusqu’au jeune Saul.

L’événement du chemin de Damas, tel que Paul en rend compte dans sa lettre, est donc totalement réintégré dans une démarche plus vaste (selon le dessein divin) et surtout profonde (en moi) que dans les récits de Luc.

6.4 Conversion ?

S. Légasse, Saint Paul, p. 71-72.

Cl. Tassin, Changer de religion ? Le problème de la "conversion" à l’aube du christianisme, in : Spiritus 192 (sept. 2008), p. 273-285.

 

On a l’habitude de parler de la « conversion » de saint Paul ; le terme est tellement ancré dans les habitudes qu’il est impossible d’en changer. Pourtant, à y regarder de près, si on l’entend d’un changement de religion (il demeure Juif et fidèle à l’Alliance) ou d’un passage d’une vie de péché à une vie de fidélité, ce ne fut pas le cas de Paul.

De plus, Paul se considère comme dans la succession des prophètes ; du coup, il insiste plus encore sur la prévenance de Dieu à son égard et sur le caractère vraiment divin de sa mission, laquelle entre par le fait même dans l’Histoire du Salut.

Par conséquent, le terme de « conversion » dans le cas de Paul n’est correct que si on l’entend de son abandon des coutumes pharisiennes et de sa consécration au Christ. De fait, Paul parle de conversion dans le cas du Juif qui « se convertit » au Seigneur (2 Co 3, 16).

En réalité, les récits des Actes associent trois versants complémentaires et indissociables d’une même expérience : conversion, vocation et mission. N’utiliser qu’un terme réduit considérablement la portée de ce récit. Cela vaut la peine de garder ce fait à l’esprit dans les commentaires de cette page biblique si célèbre comme dans nos propres expériences : Dieu n’appelle pas sans en même temps indiquer la mission et tout appel engendre un surplus de conversion.

Paul a-t-il été préparé d’une manière plus ou moins lointaine à cette découverte ? Était-il sensible, inconsciemment, à la destinée de ce Jésus, irréprochable dans sa vie et admirable dans sa mort ? En tout cas, le martyre d’Étienne a joué un rôle, d’après Luc ; et, à côté, celui de ceux et celles qu’il a approchés, fidèles et patients dans leur dévotion pour Jésus de Nazareth l’a sans aucun doute impressionné. Y avait-il en plus et en profondeur, une sorte de conscience que la pratique de la Loi ne suffisait pas à répondre à la quête de Vérité ? C’est possible, mais cela nous échappera toujours et il faut se garder de trop en dire.

Paul voue alors toute sa vie au Christ (qui l’a « saisi », Ph 3,12) et à l’évangélisation des païens[14].

6.5 Les premiers jours du jeune Saul après sa conversion

Sans doute demeure-t-il quelque temps à Damas (Ga 1, 17 n’en parle pas, mais cela semble logique, indépendamment du fait que la mention de Ac 9, 20 obéit trop au schéma selon lequel Paul doit prêcher d’abord aux Juifs pour être crédible), mais seulement pour se préparer à partir en Arabie, pendant à peu près deux ans. Chez les Nabatéens, "cousins" des Juifs ? Puis il retourne à Damas où il se consacrera à évangéliser les synagogues.

Pour M.-F. Baslez, Paul va en Arabie à la manière d’une retraite au désert ; pour S. Légasse, il s’y rend pour prêcher l’Évangile, les habitants étant des « cousins » des Juifs[15].

Le séjour du jeune Saul devenu disciple du Christ se termine mal. Que ce soit à cause des Juifs (c’est l’explication des Actes) ou d’une réaction hostile de l’administration nabatéenne à l’égard d’un juif étranger selon 2 Co 11, 32-33 (il s’enfuit de Damas en passant par-dessus le rempart, comme un vulgaire sac de chiffons).

7. La Pax romana

Après des siècles de conquêtes progressives et d’annexions violentes, après des décades de guerres entre prétendants rivaux, Rome, depuis moins de trente ans, venait de proclamer empereur César Auguste. La Méditerranée tout entière devenait le centre d’un Empire immense, qui s’étendait de l’Atlantique à la mer Rouge, et que ses habitants pouvaient sans forfanterie qualifier de mondial. C’était la fin des guerres entre cités, des invasions surgies de l’extérieur, c’étaient les mers et les routes ouvertes pour circuler, pour commercer, pour communiquer.

Cette situation a contribué à l’extension des communautés chrétiennes. S’il s’agissait d’abord d’avantages politiques et de progrès économiques, il est certain qu’entre les penseurs d’Athènes, les magistrats de Rome et les lettrés d’Alexandrie, s’établissait un large courant de culture et de réflexion. Et ce sont ces forces mêlées, ces bateaux chargés de laine ou de blé, ces courriers impériaux, ces philosophes en quête d’auditeurs, ces lettrés à la recherche de manuscrits précieux, qui ont permis aux disciples de Jésus d’aller de Jérusalem à Antioche, puis à Éphèse ou à Corinthe, puis à Rome, porteurs de l’Évangile.

Dans ce monde, Paul se sentait à l’aise, plus que Pierre de Galilée ou Jacques de Jérusalem. Mais s’il donne l’impression de figurer à part, à côté des Douze, il était sans doute loin d’être isolé parmi les chrétiens de sa génération : il y avait les hellénistes, ceux qui ont su, sans avoir de mission particulière, porter l’Évangile à Césarée, à Antioche et à Chypre, simplement pour rendre témoignage au Seigneur Jésus. Ils ont donné à Paul ses plus proches collaborateurs.



[1] Pour l’utilisation des Actes des Apôtres, voir O. Flichy.

[2] Voir F. Vouga, Chronologie paulinienne, in : D. Marguerat, Introduction au N.T., p. 131-132.

[3] Selon Suétone, Vita Claudii, 11 : Claude « chassa de la ville les Juifs qui se soulevaient sans cesse à l'instigation d'un certain Chrestus. » S. Légasse, datant l’édit de Claude de l’an 41 ou 42, en conclut que l’explication de Luc concernant la présence du couple à Corinthe est à mettre sur le compte du projet lucanien d’insérer l’histoire de l’Évangile dans l’histoire profane, quitte à faire quelques entorses à la chronologie.

[4] On peut aisément constater les positions opposées de J. Murphy-O’Connor, pour qui les parents de Paul étaient des prisonniers de guerre venus de Galilée (plus précisément de la ville de Gishala) à Tarse ; ils avaient ensuite acquis la citoyenneté romaine (cf. la tradition rapportée maladroitement par saint Jérôme – voir Com. Ph. 23-24 et De viris ill. 5) et de M.-F. Baslez (Pour lire saint Paul, p. 22) pour qui la famille de Paul aurait soutenu le parti d’Octave contre Antoine – par la fabrication de tentes pour son armée ? – et aurait été récompensée par le vainqueur (à la victoire d’Actium en 31 av. J.C.).

[5] Paul originaire de Tarse, voir : Ac 9, 11 ; 21, 39 (il en est même "citoyen", droit difficilement concédé aux étrangers) ; 22, 3. Ac 6, 9 mentionne la synagogue des Juifs hellénistes parmi lesquels des gens de Cilicie et d’Asie.

[6] Le nom du premier roi des Israélites, lui-même benjaminite comme le sera Paul…

[7] Voir les cas de Barsabbas et de Jésus, surnommés « Justus » (Ac 1, 23 ; Col 4, 11), Jean surnommé « Marcus » (Ac 12, 12), Syméon surnommé « Niger » (« noir » ! – Ac 13, 1).

[8] Paul reprendra d’ailleurs lui-même ce texte dans sa polémique contre les judaïsants (cf Ga 3, 13-14).

[9] Justin, Dialogue avec Tryphon, 89, 1-2, cité par E.B. Allo, Paul, apôtre de Jésus Christ, Cerf, 1961, p. 40.

[10] Pour ce qui est de la citation de 1 Tm 1, 12 (Paul a été persécuteur « par ignorance »), il faut tenir compte du problème de l’authenticité de l’épître : si elle est pseudépigraphe, nous ne pouvons pas tenir cette affirmation comme venant directement de Paul.

[11] « Le Christ nous a rachetés de cette malédiction de la Loi, devenu lui-même malédiction pour nous : "Maudit quiconque pend au gibet" ».

[12] Les variations sont de cinq types : amplification, suppression, interpolation, transformation grammaticale, substitution (D. Marguerat, La première histoire du christianisme. Les Actes des apôtres, (LD 180), Cerf-Labor et Fides, Paris-Genève, 1999, p. 277).

[13] Voir Is 42, 1 selon la lxx.

[14] Paul a-t-il été marié ? En 54, quand il rédige 1 Co, il est sans femme, agamos, et conseille aux célibataires et aux veufs de demeurer «comme moi» (7,7-8). Cette formule conduirait même à dire que Paul était veuf… Ne pas avoir été marié à 30 ans n’était pas exceptionnel dans le judaïsme du temps de Paul (p. ex. Flavius Josèphe, qui a attendu la trentaine).

[15] M.-F. Baslez, Pour lire saint Paul, p. 25-26. S. Légasse, Paul apôtre, p. 80-81.

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