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Biblissimo

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Vous trouverez ici des documents visant à une meilleure connaissance de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Ils représentent le fruit de recherches personnelles. Je les mets à votre disposition en vous demandant de respecter les droits d'auteur. Bon travail!


COURS D'INTRODUCTION A SAINT PAUL. IXb: Le "Corpus paulinien"

Publié par Biblissimo sur 11 Août 2011, 21:35pm

Catégories : #Corpus paulinien

Présentation des lettres aux Galates, aux Romains, Colossiens, Ephésiens, à Philémon, aux Lettres pastorales

6.1 La lettre aux Galates

Éd. Cothenet, L’épître aux Galates (Cahiers Évangile, 34), Cerf, 1980.

6.2 Circonstances et destinataires

Aucun indice dans la lettre.

On peut la situer en la comparant aux autres lettres, surtout avec Romains, qui semble avoir repris, modifié et développé l’argumentation de Galates. Notamment le fait de partir des deux textes relatifs respectivement à la justification d’Abraham par sa foi et au fait que les promesses concernent sa descendance. Voir aussi la proximité de sa pneumatologie.

Même type de répartition avec Rm : une première partie dogmatique centrée sur l’affirmation de la suprématie de la foi pour l’acquisition de la justification et une seconde partie de type parénétique. Cependant Ga s’appuie sur un récit de témoignage concernant l’authenticité de l’apostolat de Paul aux côtés de Képhas et Jacques.

La région administrative de la Galatie correspond au centre et au nord de l’actuelle Turquie. Antioche de Pisidie, où Paul a fondé la communauté chrétienne, est souvent située dans les limites de la Galatie. Ni les Actes, ni les lettres pauliniennes ne parlent d’une communauté importante dans la partie nord.

On n’a pas d’autre indication.

J. Murphy O’Connor. : les communautés de Galatie ont été rattrapées par des émissaires de l’église d’Antioche qui se considérait responsable des communautés fondées par leur ancien membre. Or cette église était le fief des judaïsants, et Képhas n’était pas loin…[1]

6.3 Composition

Toute tentative d’aller au-delà du plan le plus simple est vouée à l’échec tant Paul tient à parler librement.

 

1, 1-5 : Adresse et salutation

1, 6-10 : Introduction : objet de la lettre sous forme d’avertissement

1, 11 – 5, 12 : Exposé argumentatif :

       1, 11 – 2, 21 : Témoignage personnel, qui doit justifier l’affirmation des v. 11-12, sur l’origine par révélation de l’Évangile que Paul proclame (1, 13 – 2, 10), en tirer les conséquences à l’occasion d’une altercation avec Képhas à Antioche (2, 10-14) et ainsi préparer la propositio (2, 15-21) ;

       3, 1 – 5, 12 : argumentation ;

5, 13 – 6, 10 : Parénèse, point culminant de la lettre

6, 11-18 : Conclusion sous forme de postcriptum de Paul.

6.4 Succession des idées

Paul interpelle les Galates sur la raison pour laquelle ils ont reçu l’Esprit Saint (3, 1-5 – recours à l’expérience) ;

De même qu’Abraham a été justifié parce qu’il a cru, nous sommes destinataires des bénédictions pourvu que nous croyons (3, 6-14 – recours à l’Écriture) ;

La Loi, donnée après la promesse, ne l’a pas annulée mais ne lui apporte rien de plus que la connaissance du péché (3, 15-25 – recours à l’Écriture) ;

La véritable descendance d’Abraham, c’est Jésus et nous avec lui (3, 26-29 – recours à l’Écriture) ;

Notre filiation dans le Christ grâce à l’Esprit nous libère de la tutelle de la Loi (4, 1-7 – recours à l’expérience) ;

Double exhortation : raisonnement ad absurdum sur l’incohérence de revenir à la situation d’esclavage et recours à l’autorité de Paul (6, 8-20 - recours à l’expérience) ;

Lecture typologique des deux figures bibliques de Sara et Agar, à l’origine chacune d’une descendance d’Abraham et confrontation en vue de ranger les fils de Sara dans le camp de ceux d’Agar (6, 21-31).

6.5 Argumentation et expérience

En fait, Paul ne peut pas séparer argumentation scripturaire et expérience de l’Esprit ou du péché. Pour deux raisons : 1- la foi est avant tout un fait d’expérience ; 2- le double signe déterminant de la bénédiction divine est le don de l’Esprit et l’abandon du péché. On retrouve en plus formel le langage de Philippiens.

6.6 Une argumentation scripturaire qui nous déroute

Éd. Cothenet, L’épître aux Galates (Cahiers Évangile, 34), Cerf, 1980, p. 29-51.

 

La lettre aux Galates est pour nous l’occasion de découvrir un aspect délicat des lettres de Paul : sa méthode argumentative sur la base d’un commentaire de l’Écriture (ch. 3 et 4)

Paul recourt à sept textes :

       1- Gn 15, 6 ; prolongé par v. 7 et 12, 3 ; sera repris en Rm 4

       2- Dt 27, 26 ; prolongé par Lv 18, 5 ;

       3- Ha 2, 4 ;

       4- Dt 21, 23.

Noter que l’argumentation a été préparée en 2, 16 par la citation de Ps 143, 2, exprimant l’universalité du péché et de ce fait l’impossibilité pour l’homme de se justifier (sera repris en Rm 3, 20).

Dans la section suivante, Paul ajoutera à ces textes l’allégorie des deux femmes d’Abraham comme symboles de deux faces d’Israël, une appelée à la liberté, l’autre de condition servile (4, 21-31).

Pourquoi une telle argumentation ?

D’abord, il faut se mettre dans la situation d’un débat théologique indirectement dirigé vers les chrétiens d’origine juive, donc sensibles plus que tout aux débats tirés de l’Écriture. Ici, il s’agit de justifier les affirmations de Paul dans son dialogue fictif avec Pierre en 2, 15-21 (noyau, propositio : v. 16 ; deux confirmations : une par ad absurdum, v. 17-18 ; l’autre par l’exemple de Paul, mort à la Loi pour vivre dans le Christ, vv. 19-21).

 

À un lecteur moderne, il apparaît vite que le raisonnement de Paul n’a aucune valeur probante ; elle est arbitraire du moment qu’elle utilise librement quelques textes en les rapprochant sans établir de lien de dépendance, que ce soit au niveau littéraire ou au niveau de la tradition ou de la cohérence de pensée. En fait, s’adressant à des chrétiens judaïsants, il ne fait qu’utiliser une argumentation courante dans les débats rabbiniques qui consiste à interpréter un texte par un autre ayant le même terme, comme si les deux textes se comprenaient l’un par l’autre par analogie. Cela nous semble léger et arbitraire, mais il faut se placer dans la perspective des rabbins pour qui toute parole des Écritures est lue dans l’unité de la Révélation et dans la stricte orthodoxie de la Tradition de sorte que tout passage de l’Écriture peut et doit être par un autre passage du texte sacré, quel qu’il soit.

Le raisonnement utilisé par Paul en Ga 3 relève d’une règle d’interprétation rabbinique connue sous le nom de gezerah shawah, qui consiste à rapprocher deux textes scripturaires présentant une analogie verbale ou un parallélisme dans l’utilisation d’au moins un terme de part et d’autre de sorte que les mêmes considérations puissent s’appliquer à l’un et à l’autre textes. Elle fait partie des sept "middoth", classification attribuée à Hillel – une autre règle connue est celle du qal-wahomer : Rm 5, 15.17 ; 2 Cor 3, 7-11. Il l’utilisera de manière développée en Rm 4 (Gn 15, 6 et Ps 31, 1-2 contiennent l’un et l’autre le verbe logizesthai). Méthode largement utilisée dans l’épître aux Hébreux.

6.7 La théologie à la base de l’argumentation paulinienne de Galates

7 points de départ :

  • L’Évangile, révélation de Jésus-Christ, non d’un homme, fut-ce d’un apôtre à Jérusalem : « Sachez-le, en effet, mes frères, l’Évangile que j’ai annoncé n’est pas à mesure humaine : ce n’est pas non plus d’un homme que je l’ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ » (1, 11-12).
  • L’expérience de la conversion au Christ indépendamment de la Loi : « Celui donc qui vous prodigue l’Esprit et opère parmi vous des miracles, le fait-il parce que vous pratiquez la Loi ou parce que vous croyez à la prédication ? » (3, 5).
  • Espérance biblique : Abraham, le père des croyants ; les promesses divines et l’héritage pour ses descendants ; la théologie de l’économie divine aboutit à la descendance : Jésus.
  • La Loi doit être pratiquée dans son intégralité, à commencer par la circoncision : « tout homme qui se fait circoncire est tenu à l’observance intégrale de la Loi » (5, 3). Pourtant il est impossible de la pratiquer intégralement (3, 10) ; et plus encore « par la Loi, nul n’est justifié devant Dieu » (3, 11). Au lieu de considérer que la Loi vient en complément de l’Alliance et des promesses, Paul la situe comme une régression. Surtout, il lui donne une fonction négative car il la sépare de l’amour. Aucune allusion à des psaumes du juste célébrant une alliance d’amour qui s’exprimerait par l’amour des commandements.
  • C’est par la Loi que le Christ a été crucifié ; si Dieu l’a ressuscité, c’est donc que la Loi est dépassée : ce n’est plus la Loi qui juge le Christ et tout homme, mais le Christ Seigneur qui juge la Loi et tout homme (2 Co 5, 14-17 : la crucifixion n’est pas malédiction mais réconciliation du monde par dessein de Dieu dans le Christ) ; Ga 2, 19-21.
  • Ø Jésus est le fils à la fois d’Abraham et de Dieu : par le mystère de l’incarnation, la filiation des Israélites passe du stade de l’enfant (soumis au pédagogue) à celle de l’adulte (héritier jouissant librement du patrimoine).
  • L’Esprit Saint remplace avantageusement (!) la Loi : il est tout autant envoyé que le Fils pour faire jaillir en nous la vie de fils ; une fois rachetés, nous pouvons recevoir l’Esprit du Fils ; on passe d’un vocabulaire d’ordre juridique ("racheter") à des expressions de l’ordre de la vie (crier : Abba !).

7. La lettre aux Romains

Ch. Perrot, L’épître aux Romains (Cahiers évangile, 65), Cerf, 1988 [Excellent, par un spécialiste]

Ch. Reynier, La lettre de saint Paul aux Romains (Pour lire), Cerf, Paris, 2011

 

Deux remarques préalables :

1) Contrairement au slogan, Paul n’a aucunement l’intention de dire que la foi seule sauve. Non, c’est le Christ qui, par sa mort et sa résurrection, obtient, par la volonté expresse de Dieu son Père, la justification des hommes. La foi n’est que l’accueil de ce salut de sorte qu’il atteigne tout l’homme. Autrement dit, éviter de retrouver dans Rm la querelle entre Catholiques et Luthériens, désaxée par rapport à l’intention paulinienne.

2) Il faut tenir compte du caractère fortement polémique de la pensée de Paul : on fera attention de la nuancer et de ne pas répéter des formules choc sorties de leur contexte.

7.1 Circonstances et buts de Rm

Paul se trouve à Corinthe, pendant l’hiver ; il a fini son tour d’Asie et de Grèce et organisé la collecte. Il lui reste à prendre la route pour Jérusalem, ce qu’il fera sitôt Rm expédié à Rome. Il dit aux Romains qu’il ne compte plus exercer son apostolat dans ces régions.

Les spécialistes estiment que Paul a écrit Rm pour trois raisons complémentaires :

 

1- Il veut préparer son séjour à Rome comme une étape sur la route de l’Espagne ; il sollicite pour cela l’hospitalité généreuse des chrétiens de Rome.

 

2- Il se doute que des chrétiens de Rome n’apprécient pas ses prises de position contre la pratique de la Loi ; il veut donc s’expliquer de manière aussi sérieuse et convaincante que possible.

 

3- Il sait que son passage à Jérusalem est risqué ; il pourrait y être mis à mort ; il profite de son séjour à Corinthe pour rédiger ce qui fait le fond de sa pensée et le léguer à la postérité.

 

7.2 Composition générale de la lettre

1- Adresse : 1, 1-7

2- Action de grâces : 1, 8-15

3- Corps de la lettre : 1, 16 – 15, 13

       3.1 : Section doctrinale

                   3.1.1 : La justification par la foi et non par les œuvres de Loi : 1, 16 – 8, 39

                   3.1.2 : La question du destin du peuple juif et des promesses divines : 9, 1 – 11, 32

       3.2 : Section exhortative : 12, 1 – 15, 13

4- Triple conclusion : 15, 14 – 16, 23

       4.1 : Nouvelles concernant les projets de voyage avec première conclusion : 15, 14-33

       4.2 : Lettre de recommandations, avertissement, P.S. de Tertius (2de conclusion) : 16, 1-24

       4.3 : Doxologie finale : 16, 25-27

7.2 La propositio principale de Rm 1-8 (1, 16-17)

Il est assez facile de déceler la propositio, la thèse que Paul va justifier dans les ch. 1 à 8 :

16 Car je ne rougis pas de l’Évangile : il est puissance de Dieu pour le salut de tout homme-qui-croit, du Juif d’abord, puis du Grec. 17 Car en lui la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit : Le juste par la foi vivra.

L’analyse du contenu de ces deux versets mis en confrontation avec le reste des ch. 1 à 8 de Rm montre clairement qu’ils jouent le rôle de propositio. Et cela du fait que les trois éléments clefs des versets 16-17 se retrouvent successivement dans la suite du discours.

L’élément clef : la justice de Dieu (qui promet le salut) se révèle… C’est l’enjeu de base qui correspond à la question : comment bénéficier du salut que Dieu promet ? Or, on constate que la section 1, 19 – 3, 20 (= j), débat ayant pour origine la réaction de Dieu (la colère) face à l’impiété, tourne toute autour de la justice de Dieu mise en face du péché de tout homme.

Puis vient la détermination, la condition fondamentale chez l’homme pour recevoir le bienfait du salut : être croyant… Or on constate que le ch. 4 a pour but de déconnecter justice et loi sur la base d’une explication du cas d’Abraham, justifié avant même l’apparition de la Loi.

Enfin vient le but final : vivre. Or, on constate que la section ch. 5 – 8 tourne autour de la possibilité pour le croyant, fils d’Adam, de vivre ou de mourir.

7.3 L’argumentation de Paul en Rm 1-8 (résumé en trois étapes)

1- La propositio est suivie d’une subpropositio ou thèse secondaire :

En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité captive dans l’injustice (1, 18).

Le mot important ici est colère de Dieu, qui fait partie du champ lexical de la justice divine ; celle-ci est face à son opposé chez les hommes, l’injustice. La suite immédiate va justifier cette affirmation sous forme d’une description de la situation des païens (1, 19-32) puis des Juifs (2, 1-29) face à la justice divine, avec la conclusion que tous les hommes, païens et Juifs, sont pécheurs et donc soumis à la colère divine (1,18 – 3,20)[2]. Paul affirme ensuite que la justice divine est entrée dans un mode nouveau grâce à la mort expiatoire du Christ selon la volonté de Dieu (3, 21-26) ; elle se manifeste pour tous à partir de la foi seule – ce qui était affirmé par la Torah à propos d’Abraham (3, 27 – 4, 25).

2- Mais il y a un double problème : premièrement, sur quel fondement peut se transmettre la bénédiction d’Abraham à ceux qui ne sont pas de sa descendance, les païens ? Deuxièmement, comment se fait la transmission du salut par le Christ ? Paul va résoudre le problème en confrontant les rôles respectifs du Christ et d’Adam et en formulant que le Christ nous apporte la vie de manière semblable mais incomparablement plus efficace qu’Adam avait transmis la mort par le moyen du péché (5,1-21). Passage aussi célèbre que difficile à interpréter : saint Augustin lui-même est tombé dans le piège !

3- Paul ensuite tourne le regard vers la vie du croyant pour montrer comment se réalise dans le baptisé (le baptême fait entrer dans la "généalogie" du Christ) l’œuvre de salut, de justification sous la forme d’une exhortation liée à l’expérience et qui aboutit à un magnifique enseignement sur le rôle décisif de l’Esprit Saint seul capable de les faire vivre de cette justice malgré leur condition de pécheurs (6-8).

Le ch. 8 est le sommet pas seulement de cette section mais de toute la révélation chrétienne !

7.4 L’argumentation scripturaire de Rm 4

Luthériens : lisent ce ch. en montrant la séparation entre croire et faire pour nier que les œuvres puissent être une condition d’acquisition du salut. Attention : pour un Juif, cela n’a pas de sens de croire sans faire. C’est une distinction qui lui est étrangère ! Comment se pose précisément le problème ?

Abraham est inimitable pour un Juif puisqu’il a été justifié hors de l’alliance mosaïque. Abraham était incirconcis (v. 10), donc asebès (v. 5) ! Mais Paul va faire de cette spécificité d’Abraham un cas providentiel servant de base de raisonnement pour le plan de Dieu en Jésus-Christ. On peut ramener le raisonnement de Paul en trois étapes :

1- Premièrement, Abraham a été justifié par Dieu (v. 1-8) ;

- Puis il pose la question : quand fut-il justifié (9-12) ? Paul en indique quelques circonstances, dont l’une est particulièrement mis en valeur : il n’était pas circoncis, la circoncision étant le signe de l’obligation de pratiquer la Loi ;

- Enfin, il va préciser le rôle décisif de la foi d’Abraham ainsi que son contenu, un objet qui nous concerne tous (v. 13-25) ; le vocabulaire tourne ici autour de la promesse, de la descendance, de l’héritage. En quoi Abraham a-t-il cru ? En la promesse de Dieu qui donne descendance (conforme à Gn 16) ; ainsi est introduite la question de l’accès des non-circoncis à la justification (Paul prépare la suite…).

Remarque : dans les versets 19 à 25, Paul rappelle le miracle du don de la descendance au vieil Abraham afin de mettre en valeur l’impossibilité pour celui-ci de faire quelque chose. En effet, seul le Dieu de la vie pour faire qu’un mort devienne vivant et porteur de vie. On remarque ici à l’apparition d’un nouveau vocabulaire, très important pour la suite, celui qui tourne autour de la mort ou/et de la vie.[3]

Le statut d’incirconcis d’Abraham a donc valeur de norme pour l’accès des incirconcis à la justification.

7.5 Le triple recours à l’Écriture en Rm 4

La lecture de ce passage n’est pas simple, on le voit vite ! Pour aider à la compréhension, il faut analyser de près la manière dont Paul recourt à l’Écriture pour argumenter dans le sens qu’il veut.

Dans un premier temps, à la suite de Ga 3, il fait appel à deux citations, Gn 15, 6 et Ps 32, 1-2. Puis il leur ajoute Gn 17, 5. Ces trois textes sont à la fois indispensables et complémentaires.

La citation de Gn 15, 6 fait office de citation scripturaire principale à laquelle il ajoute deux autres et qu’il reprend à la fin (v. 22). La méthode consiste à recueillir des mots-clefs : compter ; justice ; croire ; Abraham.

Cela correspond à la règle rabbinique de la gezerah shawa[4] : rapprochement de Gn 15, 6 (commencement absolu de la théologie, puisque première occurrence des termes justice et foi) et Ps 32, 1-2 (de David), autour du verbe logizesthai, être considéré, être compté pour… Le péché n’est pas compté, et l’homme est pardonné ; pourtant, l’homme n’a pas mérité le pardon, c’est impossible ; le pardon est donc un acte gratuit de Dieu. On peut en dire pareil à propos de la justification d’Abraham, à partir de sa foi.[5]

Apport propre et complémentaire de la citation de Ps 32 : qu’Abraham ait été compté pour juste est assez facile puisqu’il ne peut être considéré comme un pécheur ! Mais ce n’est pas notre cas ! Donc le Ps 32 a pour but d’orienter vers nous le choix de Dieu et d’affirmer que le processus de justification contient celui du pardon des péchés.

La citation de Gn 17, 5 est importante puisqu’elle reporte la promesse divine non seulement sur la descendance d’Abraham, mais sur « une multitude de peuples », venant compléter les deux premières, qui risquaient de ne concerner que le patriarche.

Attention : noter l’absence de toute allusion au Sacrifice d’Isaac, hautement méritoire, épisode central pour la tradition juive… Comme aux conditions requises du Juif pour obtenir le pardon. Là encore, on saisit une attitude partiale de Paul.

7.6 Justice divine et justice humaine

S. Lyonnet, Justification, jugement, rédemption, principalement dans l’épître aux Romains, in : Littérature et théologie pauliniennes (Recherches bibliques, 5), Bruges-Paris, DDB, 1960, pp. 166-184

 

Nous avons relevé la fréquence et l’importance de la notion biblique de "justice" (avec son aspect complémentaire de "justification") à la base de l’argumentation de Paul en Romains. De fait, elle est au cœur de la théologie paulinienne du salut. Elle est cependant difficilement compréhensible dans les catégories modernes du droit, catégories héritées du Droit romain. Il est donc indispensable d’aborder Rm en ayant bien compris ce que représente pour lui la notion de justice.

En hébreu, le terme latin iustitia, et le terme grec dikaiôsynè sont supposés traduire le terme hébreu Şedaqah. L’analyse de ce terme et de ses associés (adj. : şèdèq, appliqué à l’homme : şadiq) révèle une notion beaucoup plus large que la notion moderne (européenne) de justice. Voilà un résumé en cinq étapes qu’il importe d’assimiler si l’on veut saisir aujourd’hui le véritable enjeu de Rm 1-11.

1- La racine hébraïque qualifie positivement la relation entre deux personnes ou deux groupes ou une personne et un groupe en prenant en compte le fait que ces relations sociales, dans le monde sémitique, sont des relations à la fois très diversifiées et très réglementées. Comme en Afrique traditionnelle… Il ne s’agit pas d’abord de relations définies en fonction d’un droit, d’un ensemble de codes définis universellement autour de la notion de droits et de devoirs dans l’égalité juridique des personnes, mais de comportements et de coutumes dépendants du respect particulier dû à telle personne, à tel groupe.

2- Application aux relations entre Dieu et Israël : la tradition biblique a défini les rapports Dieu – Israël avec cette notion de tsedaqah. Rapport supérieur > inférieur ; le fondement de ce rapport ne peut être que dans l’initiative du supérieur à l’égard de celui qu’il a pris sous sa protection ; donc, la « justice de Dieu » ne se comprend que comme fidélité à ses engagements, à ses promesses, qui sont des promesses de salut. On en viendra à célébrer « les justices de Dieu » au sens des manifestations historiques de Dieu réalisant ses promesses par des actes salvifiques.

3- « Malheureusement », la racine a été rendue dans la traduction grecque par les termes liés à la notion de nomos et de justice forensique[6] (dikaiôsunè, dikaios). On est donc piégé par la substitution d’un vocabulaire issu d’une vision réductrice des rapports sociaux codifiée par le souci du droit romain de définir les droits et les devoirs de chacun en fonction non des coutumes locales mais de l’administration impériale (et il y en avait sans doute besoin : il suffit de reconnaître les bienfaits de ce droit pour la protection de la mère de famille).

4- Paul utilise fréquemment le verbe dikaioun (factitif ou seulement forensic ?)[7]. Attention : la tradition catholique a pris soin de se démarquer de la conception luthérienne de la justification réduite à une déclaration formelle de non culpabilité sans se prononcer sur le fond. « Simul justus et peccator ». Luther a traversé sa crise avec les moyens théologiques et philosophiques de l’école nominaliste.

5- La “justice de Dieu” dans la Lettre aux Romains : de manière délibérée, Paul traite du vocabulaire de la loi en passant sans avertir de la notion spécifiquement biblique à la compréhension commune, de type gréco-romaine. Il faut donc commenter chaque expression en rapport à la notion de justice en tenant compte du contexte précis dans laquelle elle se trouve.

7.7 L’enseignement de Rm 1-8

Résumons le résultat d’une analyse exégétique et libérée de la polémique entre Luther et l’Église catholique.

Paul a voulu montrer que la foi chrétienne se fonde sur une nouvelle manière pour Dieu d’exercer sa justice. Car un événement capital est intervenu : la mort sacrificielle de son Fils pour le pardon définitif et total des péchés. Ce pardon nous a été acquis sans aucun mérite de notre part, par Jésus dont le mérite ne fut certainement pas d’avoir obéi à la Loi de Moïse mais de s’être offert totalement à la volonté du Père, dans l’amour. Parallèlement à cet enseignement, et de manière polémique, Paul s’efforce de convaincre les lecteurs que la loi, toute loi, y compris celle de Moïse, n’a aucune valeur salvifique en elle-même. Encore moins les « œuvres de loi », ces coutumes visant à séparer les fils d’Abraham de leurs voisins païens. Il va même jusqu’à dire que la Loi n’a pas d’autre effet que de donner la connaissance du péché, voire de susciter chez l’homme l’envie de pécher. L’expérience de Paul et des premiers chrétiens est telle qu’ils savent fort bien qu’ils ont reçu les dons de Dieu, en premier lieu celui de l’Esprit Saint, Esprit de filiation dans le Fils unique, sans la pratique des œuvres de loi ; le fait d’avoir mis toute leur foi dans le Christ a suffi. Ni la foi ni la loi ne sauvent par elles-mêmes, mais le fait de recevoir dans toute sa vie les fruits du salut provenant de la mort et de la résurrection du Christ. Les ch. 6 et 7 montrent à leur manière que la foi ne va pas sans un comportement qui soit cohérent avec le fait d’être consacré au Christ par le baptême. Le ch. 8, le sommet de toute la Bible, met en pleine lumière le rôle décisif de l’Esprit Saint, la permanence du mal et de la souffrance malgré la victoire du Christ, et rend gloire au Dieu d’amour.

8. Le cas des lettres aux Colossiens et Éphésiens

Colosses et Laodicée sont deux villes importantes situées à environ 200 km à l’est d’Éphèse, dans la vallée du Lycos, sur une route très fréquentée, notamment pour le commerce du textile.

On discute encore de l’authenticité de la lettre aux Éphésiens : cf. P. Benoit, L’horizon paulinien de l’épître aux Éphésiens, in RB 1937, pp. 342-361 ; 506-525 (= Exégèse et théologie, t. II, pp. 53-96) ; et Rapports littéraires entre les Épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens, in : Neutestamentliche Aufsätze. Festschrift für Prof. Josef Schmid, Regensburg, 1963, pp. 11-22.

A. Feuillet, suivant Benoit : Éphésiens reprend Colossiens en tirant les conséquences ecclésiologiques de la christologie attribuant au Christ Sagesse le Plèrôma divin. Tantôt plusieurs passages de Col. ont été combinés dans Éph., tantôt un passage de Col. se trouve dédoublé en un passage d’Éph., tantôt un même texte de Col. est exploité à plusieurs reprises dans Éph.

J.-N. Aletti : face au nouveau défi que représentaient les courants visés par les deux lettres (à rapprocher de ce qui deviendra la gnose juive), on peut raisonnablement penser que Paul n’est pas seul : il y a certainement à Éphèse des chrétiens cultivés et capables de confronter leur foi au défi d’une philosophie étrangère. D’où le langage propre de ces lettres. En ce sens, Col est de Paul.

8.1 La lettre aux Colossiens

Préférer l’introduction à Colossiens chez R.E. Brown que celle de A. Dettwiler dans l’Introduction au N.T. de D. Marguerat.

Ch. Reynier, L’épître aux Colossiens, in : C. Reynier et M. Trimaille, Les épîtres de Paul, t. III (Commentaires), Bayard éditions – Centurion, 1997, p. 125-175.

S. Légasse, Saint Paul, p. 174-175.

On a de bonnes raisons de penser que Colosses fut grandement endommagé par le tremblement de terre de 60-61 qui détruisit Laodicée (voir Tacite). Ap 1 cite Éphèse et Laodicée mais pas Colosses parmi les églises destinataires de lettres. Dans sa description de la vallée du Lycos, Pline ne mentionne pas Colosses. On écrit plus facilement une lettre pseudépigraphe quand les destinataires ne sont plus identifiables, ce qui pourrait être le cas des Colossiens suite au tremblement de terre.

Rapports littéraires incontestables avec la lettre à Philémon, notamment la liste de noms : parmi les 9 noms propres, 7 se trouvent dans Colossiens.[8]

La communauté semble composée de chrétiens d’origine païenne (1, 21.27 ; 2, 11-13). Évangélisée par Épaphras, natif de Colosses, qui a partagé la captivité de Paul (Phm 23) ? Le fait qu’il soit mentionné ne prouve pas qu’il a une place de leader dans la communauté. La fondation de la communauté de Colosses peut avoir été accompagnée de celle d’autres communautés de la région.

8.1.1 Plan de l’épître (M. Carrez)

Adresse.

1- Action de grâces (1,3-8).

2- Prière (1,9-14), ou exhortation à mettre en pratique la foi reçue.

3- Hymne christologique (1,15-20).

4- Les chrétiens de Colosses et le combat de l’apôtre (1, 21 – 2, 3)

       - exhortation à l’espérance (1,21-23).

       - souffrances de Paul (1,24-29).

       - mission de Paul : œuvrer à une profonde intelligence et à la connaissance du mystère de Dieu (2,1-3).

5- Mise en garde contre un enseignement étranger (2,4-23) qui écarte le Christ Plénitude de la divinité.

- les Colossiens ne doivent pas accepter de se laisser ramener à la servitude de l’observance rituelle.

6- Appel à la vie chrétienne en communion avec le Ressuscité (3,1 – 4,6).

7- Nouvelles salutations (4,7-17).

Salutation autographe de Paul (4,18).

8.1.2 Composition littéraire (J.-N. Aletti)

En tenant compte du cadre épistolaire, des parallélismes (syntaxiques, lexicographiques, sémantiques, etc.) et de la dispositio rhétorique, notamment de la présence d’une partitio en 1, 21-23.

Difficulté : comment définir la fonction de la section qui suit immédiatement l’action de grâces ? Aletti l’intègre dans l’exordium.

 

1,1-2 : Adresse et salutation initiale (cadre épistolaire)

1,3-23 : Exordium, avec développements hymniques

       v. 21-23 : Partitio :

                   21-22 : l’œuvre du Christ pour la sainteté des croyants ;

                   23a : la fidélité à l’Évangile reçu…

                   23b : et annoncé par Paul.

1,24 – 4,1 : Probatio :

       1,24 – 2,5 : le combat de Paul pour annoncer l’Évangile (chiasme)

       2,6-23 : Exhortation à la fidélité à l’Évangile reçu (développements dogmatiques)

       (a) v. 6-8 : exhortations relatives aux pratiques cultuelles

       (b) v. 9-15 : raisons christologiques : Christ et les croyants avec lui

       (c) v. 16-19 : conséquences : reprise des exhortations.

                   + v. 20-23 : Subperoratio

       3,1 – 4,1 : La sainteté des croyants

       (a) v. 1-4 : principes

       (b) v. 5-17 : état du chrétien et agir éthique/ecclésial

       (c) 3,18-4,1 : application à la vie familiale ou domestique

4,2-6 : Exhortations finales à fonction pérorante

4,7-18 : Salutations épistolaires

8.1.3 Vocabulaire et style

Très différents de Rm et autres lettres authentiquement pauliniennes. Les phrases sont longues ; la pensée avance en se complétant par la succession de termes plus ou moins synonymes. Les verbes sont suivis d’un nombre impressionnant de compléments, les génitifs s’accumulent.

Vocabulaire : 34 hapaxlegomena du NT ; 86 termes absents des proto-pauliniennes ; surtout : évolution sémantique de termes importants, sous l’influence de la littérature de sagesse : Tête, corps, Église, Plérôme, sang et croix, sagesse, richesse, connaissance, mystère, économie…

Absence du vocabulaire de la justification, de la loi, du péché, du salut.

Style moins antithétique, plus emphatique.

8.1.4Théologie

Les différences entre Col et les lettres proto-pauliniennes se retrouvent dans tous les domaines de la pensée théologique de Col et forment un ensemble cohérent.

Accentuation cosmologique de la christologie (déjà en 1 Co 8, 6 ; 2 Co 4, 4 ; Ph 2, 6-11). Utilisation d’un cadre symbolique spatiale plus que temporel.

Ecclésiologie développée autour de l’image du corps comme désignant non plus les relations intercommunautaires mais le rapport Christ – Église. L’Église est d’emblée considérée comme réalité « catholique » (sauf 4, 15-16).

L’eschatologie est inaugurée chez le baptisé puisqu’il participe déjà à la résurrection du Christ ; il est arraché à la puissance des ténèbres et déjà « transféré dans le royaume du Fils de Dieu ». 3, 1-3 : nous sommes déjà ressuscités avec le Christ : mais cette vie de ressuscités est « cachée avec le Christ ». Nous pouvons donc dès maintenant rejoindre le Christ dans le Ciel. Cela suppose une mort à ce tout ce qui s’opposerait à la force de résurrection de l’Esprit. On retrouve cela en Éphésiens (2, 6).

8.2 La lettre aux Éphésiens

Insiste sur le fait qu’elle est adressée aux chrétiens d’origine païenne. Jusqu’à dire que Paul est emprisonné du fait de sa mission pour eux : « Moi, Paul, prisonnier du Christ à cause de vous, païens... » (3, 1).

8.2.1Plan

1,1-2 :         Adresse

1,3-14 :      Bénédiction

1,15-23 :    Action de grâces et intercession (insiste sur la gnôsis)

1,15 – 3,21 :   La connaissance du Christ par l’Église

       2,1-10 :     Jadis et maintenant

       2,11-22 :   Eux et nous

       3,1-13 :     La révélation du Mystère

       3,14-21 :   Dimensions de l’amour du Christ

4,1 – 6,20 :      La vie dans le Christ par l’Église

       4,1-16 :      Paraclèse : unité et diversité unificatrice dans le Christ

       4,17 – 5,20 :  Nouveauté des mœurs, aspect individuel

       5,21 – 6,9 :    Nouveauté des mœurs, aspect social

       6,10-20 :    Conditions du combat spirituel

6,21-24 : Conclusion

8.2.2 L’Église Corps du Christ[9]

Éph reprend et prolonge Col en développant davantage tout ce que l’Église a reçu du Christ Image par laquelle Dieu a tout fait puis réconcilié. Le centre d’intérêt principal n’est plus le souci de l’unité des églises, mais le regard de sagesse à partir du Mystère de la suprématie du Seigneur sur le cosmos, en réponse à la tentation de chercher dans les religions à mystère une gnôsis prétendue supérieure à ce que le Christ donne à son Église.

Neuf emplois du mot corps, tous liant de façon systématique la notion de corps à celle de l’Église. Ekklèsia désigne l’Église dans son universalité et non la seule communauté à laquelle l’auteur s’adresse. Cela est possible du fait de l’évolution concomitante de deux notions : 1- le Christ, comme plérôme de Dieu, a en partage toute sa gloire et sa puissance vivificatrice (créatrice) ; 2- le rapport entre le baptisé et le Christ est défini en fonction du fait que la résurrection est effective dès la vie en ce monde, en ce sens que la grâce du Ressuscité nous a établis en relation avec lui précisément comme Seigneur dans la gloire. La distance entre gloire divine et condition humaine est donc transcendée. Ainsi les affirmations fondamentales sur la sacramentalité du baptême en Rm 6 sont poussées jusqu’à l’extrême.

Éph 4,4-16 reprend l’image "fonctionnelle" du corps développée en 1 Co 12 : Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu… Il "a donné" aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, à la mesure de la plénitude (plèrôma) du Christ… Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers celui qui est la Tête, le Christ, dont le Corps tout entier est harmonisé et mis-en-cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité.

Mais le début de la lettre a fait apparaître une relation entre l’Église et le Christ qui se situe à un niveau beaucoup plus profond.

Éph 1, 22 : « Il a tout mis sous ses pieds, et l’a constitué, au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son (noter l’article possessif défini, contre 1 Co 12,27) Corps, la Plénitude de celui qui la remplit (part. prés. moyen) de tout en tous. »

Éph 2, 15-16 : « … pour créer en lui-même les deux en un seul Homme nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix. »

Troisièmement, Paul, dans un passage célèbre qui reprend et développe une exhortation de Colossiens, passe à un nouveau sens de « corps », celui que la femme offre à son mari. Éph 5,23-30 : « Le Christ est chef de l’Église, lui le sauveur du Corps… Il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Église : ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? »

Une telle réflexion suppose qu’on accepte que Paul parle de soumission de la femme à son mari, conformément à la culture de son époque, et pas simplement la culture juive. Avec une remarque importante : le chrétien doit se soumettre à son frère en vue de la communion fraternelle ; le mari aussi… Et si le juste rapport entre époux accorde davantage d’autorité au mari (une autorité qui suppose le dialogue entre personnes également douées), l’un et l’autre se rappellent qu’il s’agit d’obéir au Christ par le moyen de l’autorité masculine.

En 1 Co 12, la tête est un membre parmi d’autres, elle ne désigne pas une réalité particulière par rapport à l’Église. Elle apparaît en 1 Co 11,3 : « la Tête de tout homme, c’est le Christ ». Ce qui est étonnant en Col et Éph, c’est que « l’image du Christ tête n’apparaît pas comme une déduction du thème du Corps du Christ mais pour exprimer son autorité de chef sur les puissances angéliques. »

Dans ce sens-là, la tête n’a pas besoin du corps pour exister.

La démarche de la pensée paulinienne peut être exprimée ainsi :

- l’ensemble des chrétiens, dans leur cohésion, sont « comme un corps » (comparaison hellénistique) ;

- parce qu’ils reçoivent vie du Christ, ils sont un organisme spirituel qui dépend du Christ ;

- cet organisme spirituel, qui est dans le Christ ou du Christ, on le dira aussi, par une identification mystique, son propre corps.

8.2.3 L’Église, plénitude du Christ

L’Église « est son Corps, le Plèrôma de Celui-qui-la-remplit de tout en tous » (Éph 1, 23). Plèrôma en apposition à sôma. Plèrôma est fondamentalement un vocable passif : l’Église n’existe que dans la mesure où elle est remplie par le Christ. À la différence de Col 1, 24, où antanaplérô a valeur active : Paul complète en lui la passion du Christ pour l’Église « son corps ». Plèroumenou : part. prés. moyen : le Christ remplit complètement l’Église, par lui et par la grâce qu’il répand en elle. L’utilisation du participe moyen souligne cette idée que le Christ remplit un domaine qui lui appartient en propre, et qui est en situation de dépendance et de réceptivité. (Ch. Reynier)

L’Église est Corps du Christ parce qu’elle a été remplie par le Christ, qui en est la tête, de son mystère. Quand Paul parle de l’église comme « plénitude » du Christ, il pense à la richesse de la vie divine qui de la tête afflue dans tout le corps, dans tous ses membres. En est-elle aussi l’accomplissement ? Mettre en rapport avec le fait qu’en lui Dieu « récapitule » toutes choses.

C’est l’Esprit qui remplit et rassemble le corps ecclésiologique du Christ. On ne peut donc comprendre ces paroles que dans ce sens : l’unique corps de chair du Christ qui a répandu son sang pour les deux groupes d’hommes jusque là séparés et a établi la réconciliation, est devenu après la résurrection, d’une manière nouvelle, par l’Esprit, l’unique « Corps du Christ ».

Éph 4, 13 précise que l’Église est en devenir un vers une maturité qualifiée par l’expression « homme parfait ».

8.2.4 La métaphore nuptiale

On trouve dans la Deuxième lettre aux Corinthiens une phrase très étonnante : « J’éprouve à votre égard en effet une jalousie divine ; car je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ » (11, 2). L’idée est reprise au ch. 3 de Colossiens (v. 18-19) et largement développée au ch. 5 de la Lettre aux Éphésiens, dans un passage célèbre[10].

Pourquoi l’auteur de demande-t-il pas aux femmes d’aimer leur mari ? Paul avait affirmé que le croyant n’a pas reçu un esprit de crainte : se contredit-il ? Pour cela, il faut impérativement situer la pensée de Paul dans le contexte socio-culturel de l’époque.

Ch. Reynier : La conception du mariage dans le monde antique repose souvent sur un simple accord comportant l’acquisition d’une femme qui passait de l’autorité du père à celle qui mari. S’il a bien existé des mariages d’amour, le mariage reste ordinaire du domaine de l’arrangement. Tout au plus considère-t-on que la femme doit être disponible pour son mari sans que la réciproque soit mentionnée. Un tel mariage relève par essence d’un ordre juridique humainement déséquilibré puisque les obligations ne semblent ne concerner que la femme. Le rôle du Christ dans le couple bouleverse la conception contemporaine des rapports conjugaux. Loin de s’en tenir au respect du lien juridique, le mari doit aimer son épouse du même amour que le Christ aime l’Église, car c’est dans ce mystère que l’amour peut-être découvert et compris dans sa profondeur. Les rapports entre époux sont donc régis par le mystère de la mort-résurrection du Christ comme donation d’amour.

Deux formules servent de point de départ de l’enseignement de Paul :

1/ le Christ est le sauveur de l’Église, il en est donc la tête.

2/ Le couple humain ne fait qu’une chair.

La conclusion est simple : l’amour que le Christ a pour l’

Faut-il voir, selon le contexte culturel tant juif que gréco-romain, dans le rapport mari – épouse une relation dynamique : en lui donnant une place sociale réelle et digne (selon la mentalité de l’époque), l’homme « sauve » la femme, laquelle doit se laisser sauver par lui, donc avoir à son égard une attitude de soumission, c’est-à-dire de radicale acceptation et disponibilité à cet acte sauveur ? Mais Paul ajoute : la relation doit être une relation d’amour.

Question : est-ce le rapport mari-épouse qui définit le rapport Christ-Église, ou l’inverse ? L’homme a-t-il à se mettre à l’école du Christ aimant l’Église pour vivre chrétiennement son rapport à l’épouse ? C. Reynier : C’est la comparaison du rapport Christ - Église qui éclaire les rapports de l’homme de la femme. Dans le cadre du mariage, seul le Seigneur est la référence du rapport entre l’homme et la femme. Si le mari est « tête », c’est en fonction du mystère du Christ, caractérisé par la puissance, la perfection de l’amour. Une telle loi transcende les conventions sociales tout comme la loi romaine.

Il est clair que les deux rapports s’éclairent mutuellement.

9. Le billet à Philémon

Paul prisonnier renvoie Onésime à son maître, Philémon (qualifié de "collaborateur"), à qui il adresse une lettre pour lui demander de lui redonner sa place malgré sa fuite de la maison. D’autant plus que, auprès de Paul, Onésime est devenu pleinement chrétien.

Quelle captivité ? M. Carrez : Césarée. Épaphras (de Colosses) se trouve aux côtés de Paul ainsi que Timothée, Marc et Luc, comme collaborateurs. Pas Rome, où Timothée est absent.

10. Le cas des « Pastorales »

E. Cothenet, Les épîtres pastorales (C.E. 72 Supp.), Service biblique Évangile et Vie, Cerf, Paris, 1990.

 

Bon résumé de la position dominante en M. Trimaille, Les lettres pastorales, 1997, p. 253-255. L. Cerfaux (Intro à la Bible. T. II, p. 527-529) développe les nuances importantes dont il faut tenir compte pour une juste évaluation des données issues de l’analyse interne des lettres en fonction de la situation de Paul et de l’évolution des communautés pauliniennes après le premier séjour à Rome. Le recours à l’hypothèse du secrétaire n’est pas convaincant pour expliquer les différences de style.Ces lettres, étroitement unies entre elles par la langue et le style, diffèrent des autres écrits pauliniens. Il y a bien dans chacune des trois lettres les caractéristiques du genre épistolaire tel que nous l’avons défini dans les autres lettres, en particulier dans 2 Tm, mais il apparaît nettement que ces écrits relèvent d’un genre différent.

10.1 Pourquoi « pastorales » ?

Pour deux raisons : on voit en Timothée et Tite deux "pasteurs" ; les trois lettres traitent, entre autres, de questions relatives à des hommes qui ont un rôle d’autorité, d’enseignement, de discipline dans la communauté, les « presbytres » et l’ « épiscope », rôle qu’on qualifie souvent de "pastoral". Mais la racine liée à la « pastorale » est totalement absente de ces lettres.

10.2 Pourquoi ces trois lettres sont-elles lues ensemble ?

En plus du fait qu’elles sont adressées à deux personnages individuels (les autres épîtres sont adressées à des communautés, sauf le Billet à Philémon), qui d’ailleurs se ressemblent comme compagnons appréciés de Paul, il se trouve qu’elles présentent la même problématique, le même contenu, le même vocabulaire caractéristique et le même genre littéraire.

Elles sont difficiles à faire cadrer avec la chronologie paulinienne connue à ce jour. Elles font supposer beaucoup de voyages et de fondations nouvelles, en Asie mineure : Crète (où il laisse Tite), Éphèse puis Macédoine d’où il écrirait la 1 Tm et Tite ; hiver à Nicopolis (Épire) ; à Rome, prisonnier, d’où il écrit 2 Tm très peu de temps avant son martyre. Ac 20 : les anciens d’Éphèse ne verront pas le visage de l’Apôtre : cela aurait-il un sens si, par la suite, Paul serait revenu dans cette ville ? De plus, en Rm, Paul laisse entendre qu’il en a fini avec une activité missionnaire dans l’est de l’Empire évangélisé par lui.

Leur théologie est originale et n’exploite pas les thèmes familiers de Paul. Elles se réfèrent manifestement à une Église déjà installée et cherchant à se doter de structures permanentes.

La question de l’auteur de ces lettres se pose donc depuis longtemps. Pour la plupart des grands commentaires contemporains, l’auteur de ces épîtres est un disciple de Paul appartenant à la troisième génération chrétienne.

Tite : réplique à 1 Tm, tandis que 2 Tm (comme son testament, instituant Timothée héritier) suppose Paul en captivité et prêt à subir le martyre.

10.3 Vocabulaire

L’une et l’autre lettres contiennent un vocabulaire inconnu des autres épîtres : piété, épiphanie, saine didascalie, parole de confiance, etc. Plusieurs termes importants du langage proprement paulinien sont repris avec un sens légèrement différent. On ne trouve pas : croix, mort, liberté, alliance, parousie.

Le style est plus recherché, moins passionné, moins direct. La maturité ou le grand âge de Paul ne peuvent expliquer ces traits caractéristiques.

10.4 La question de l’authenticité

Presque la totalité des spécialistes affirment que les Pastorales ne sont pas de Paul, ni d’un de ses compagnons proches ; elles sont donc « trito-pauliniennes ». On peut regrouper leurs explications en quatre types :

1- Raisons littéraires, dans la mesure où leur style tranche par rapport à ces autres lettres que l’on qualifie d’authentiques. Les Pastorales ont un vocabulaire propre.

2- Raisons ecclésiologiques, dans la mesure où l’organisation ecclésiastique des Pastorales est très peu représentée dans les autres lettres et paraît refléter une période postérieure. On ne trouve pas les termes épiskopos et presbyteros dans les autres lettres.

3- Raisons théologiques, dans la mesure où les préoccupations et les orientations des Pastorales paraissent très loin des préoccupations et orientations des lettres proto-pauliniennes.

4- Raisons chronologiques, dans la mesure où l’on ne voit guère comment insérer les Pastorales dans la trame de l’histoire paulinienne, telle qu’elle nous est restituée en particulier par Luc dans les Actes des Apôtres.

10.5 Hiérarchie ecclésiastique

Il faut durer dans la fidélité et dans le temps présent. Pour cela il faut des hommes ayant autorité, à la suite des apôtres. D’autant plus que des fausses doctrines (en relation avec le judaïsme : fables juives, controverses au sujet de la Loi, dualisme moral) sont enseignées au sein même de la communauté.

10.6 Orientations théologiques

La manière de parler de Dieu emprunte à plusieurs reprises au langage protocolaire du culte impérial les termes : « grand, unique, bienheureux, immortel, philanthropie, épiphanie ». Le titre de Sauveur (Sôter), titre impérial, ne se trouve qu’en Ph 3, 20, à propos de la parousie et neuf fois dans les Pastorales, cinq fois de Dieu et quatre fois du Christ.

L’Épiphanie du Christ : double : naissance (Tt 2, 11 ; 3, 4-6 ; 2 Tm 1, 10) et Parousie (1 Tm 6, 14 ; 2 Tm 4, 18 ; Tt 2, 13).

Les thèmes missionnaires sont en recul. Seul Paul prêche l’Évangile (terme utilisé cinq fois seulement) tandis que Timothée doit transmettre l’enseignement reçu (2 Tm 4, 2).

L’organisation des églises est la grande nouveauté des Pastorales. Selon 1 Co 12, la communauté est guidée par des apôtres, des prophètes et des enseignants. Pastorales : un seul enseignant

L’attente eschatologique demeure mais avec moins d’intensité. On parle même de la résurrection de Jésus comme son épiphanie : « Cette grâce a été maintenant manifestée par l’Apparition de notre Sauveur le Christ Jésus, qui a détruit la mort et fait resplendir la vie et l’immortalité par le moyen de l’Évangile » (1, 10).



[1] Histoire de Paul de Tarse, p. 148-149.

[2] Cette section joue donc le rôle de subprobatio par rapport à l’ensemble des ch. 1 à 8, la probatio proprement dite commençant au ch. 4 (J.-N. Aletti). Cette subprobatio se fait en trois temps : preuve par les faits : 1, 19-32 ; preuve par les principes : 2, 1-16 et 17-29 ; preuve par l’autorité de l’Écriture : 3, 1-18.

[3] Noter qu’Abraham est présenté d’abord comme « notre père selon la chair » (4, 1), puis comme « notre père à tous… père d’une multitude de peuples » (v. 16-18).

[4] Voir Hb 7, 1-3 ; Ga 3, 10-13 ; Rm 9, 25-28, Jc 2, 21-24.

[5] J.-L. Ska : le raisonnement de Paul tient compte aussi de la supériorité de l’ancien sur le nouveau selon la mentalité sémitique. Voir aussi la comparaison Jésus – Abraham en Jn 8, 58 et l’attribution au Christ d’un sacerdoce meilleur que celui de Lévi puisqu’il est de la forme de celui de Melkisédeq.

[6] "Forensique" : qui a rapport au tribunal, aux procès.

[7] Sur ce sujet, voir surtout E. Käsemann, La justice de Dieu chez Paul, in : Essais exégétiques (Le monde de la Bible), Delachaux & Niestlé, 1972, pp. 242-255 [Art. publié en 1961]. S. Lyonnet, Justification, jugement, rédemption, principalement dans l’épître aux Romains, in : Littérature et théologie pauliniennes (Recherches bibliques, 5), Bruges-Paris, DDB, 1960, pp. 166-184.

[8] Pour S. Légasse (p. 174, n. 3), Col est une lettre pseudépigraphe rédigée dans le même contexte que la lettre à Philémon.

[9] J. Dupont, Gnosis. La connaissance religieuse dans les épîtres de saint Paul, p. 427-453.

[10] Voir encore 1 P 3, 1-5., où la femme est considérée comme plus faible ; cette faiblesse commande l’attitude de l’homme : il doit lui être bienveillant. Attention : les maris ont à estimer leur femme, cohéritière de la grâce (v. 7).

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