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Biblissimo

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Vous trouverez ici des documents visant à une meilleure connaissance de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Ils représentent le fruit de recherches personnelles. Je les mets à votre disposition en vous demandant de respecter les droits d'auteur. Bon travail!


La femme pécheresse pardonnée et aimante (Lc 7,36-50)

Publié par Biblissimo sur 23 Septembre 2012, 16:50pm

Catégories : #Synoptiques & Actes des Apôtres

Une femme pécheresse, un pharisien, Jésus. Commentaire de Lc 7, 36-50

Texte


36 Un Pharisien l’invita à manger avec lui ; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Et se plaçant par derrière, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum. 39 À cette vue, le Pharisien qui l’avait convié se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse ! » 40 Mais, prenant la parole, Jésus lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. » –  « Parle, maître », répond-il. « Un créancier avait deux débiteurs ; l’un devait cinq cents deniers, l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’en aimera le plus ? » Simon répondit : « Celui-là, je pense, auquel il a fait grâce de plus. » Il lui dit : « Tu as bien jugé. » 44 Et, se tournant vers la femme : « Tu vois cette femme ? dit-il à Simon. Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds ; elle, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser ; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête ; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. À cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d’amour. » 48 Puis il dit à la femme : « Tes péchés sont remis. » 49 Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est-il celui-là qui va jusqu’à remettre les péchés ? » 50 Mais il dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix. »

 

1. Situation dans l’évangile

1.1 Contexte

Avec ce récit prend fin une section de l’évangile de Luc (6, 20 – 8, 3) dont les éléments ne se trouvent ni chez Marc ni chez Matthieu. Elle est appelée « la petite incise ».

Cette section a pour but principal de confronter Jésus avec la figure du prophète. Le terme y revient à plusieurs reprises ainsi que le personnage de Jean le Baptiste et des figures de l’A.T. comme Élie (le récit de Jésus redonnant vie au fils d’une veuve contient plusieurs éléments repris de la résurrection du fils de la veuve de Sarepta). Plus précisément, dans l’intention catéchétique de Luc, le fait que Jésus se comporte comme un prophète, à la fois homme de Dieu et délivrant un message divin, doit être compris par le lecteur comme le signe que Dieu a visité son peuple.

1.2 Dans l’histoire de la tradition

Très certainement, il y avait une tradition concernant une onction de Jésus par une femme chez un certain Simon. Elle a été rapportée de manière différente chez les quatre évangélistes (voir Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 3-9 ; Jn 12, 1-8). Seul Luc la place en Galilée, la séparant du contexte de préparation à la passion du Christ.

Le récit lucanien contient des éléments issus de cette tradition (« Tes péchés sont remis » ; « Ta foi t’a sauvée »), d’autres issus de sa source propre (Simon est un pharisien et non un lépreux ; la petite parabole), d’autres enfin qu’il a délibérément introduits (le rôle de l’amour dans le processus de manifestation du pardon).

2. La scène

Luc rapporte plus souvent que les autres évangiles des enseignements de Jésus délivrés à l’occasion de repas, de banquets. On parle alors de genre littéraire « symposiarque ». Voir notamment la section 14, 1-24, dans laquelle plusieurs actions et enseignements se déroulent au cours d’un repas chez un pharisien. On pense aussitôt aux dialogues philosophiques de la tradition issue de Socrate puis de Platon. Pourquoi pas ?

Ces récits présentent un enseignement de Jésus faisant suite à une question ou à un incident surgis spontanément (« Pronouncement-story »). Ici, lors d’un banquet chez un pharisien du nom de Simon (Luc aime rapporter les noms des interlocuteurs de Jésus ou donner des noms aux personnages des paraboles), une femme apparaît de manière inattendue et fait à l’égard de Jésus des gestes qui suscitent l’interrogation de l’hôte. Jésus va évaluer ce geste et interpeller son hôte pour l’inviter à réviser son sens de la justice divine.

La composition du récit est simple :

1/ Jésus est invité à un repas ;

2/ une femme entre et oint Jésus ;

3/ ce geste déclenche une réaction négative chez les participants ;

4/ Jésus prend la défense de la femme ; il illustre son propos par le moyen d’une parabole ;

5/ et fait son éloge.

Dans le récit, Jésus n’a pas l’initiative : il répond à une invitation ; il interprète une situation qu’il n’a pas créée ; il annonce une vérité cachée (le pardon des péchés de la femme) dont il n’est pas lui-même la cause.

À l’intérieur de la narration, il convient de noter que le rapport entre les deux protagonistes, Jésus et Simon le pharisien, est modifié par deux fois successivement. Au début, Jésus est l’invité ; Simon est le maître de maison. Face à la femme impromptue, Jésus va prendre le rôle de rabbi (didaskalos) et Simon l’accepte : d’où la petite parabole, histoire dans l’histoire, conclue par une interrogation adressée au pharisien devenu momentanément au moins disciple. Dans un troisième temps, le rabbi Jésus est présenté dans un rôle de prophète annonçant le pardon divin, mais son interlocuteur accepte-t-il d’entrer dans ce nouveau rapport ? À  l’issue du récit, nous sommes dans l’inconnu.

3. L’enjeu

Pour l’évangéliste, l’enjeu de cet épisode est double : il s’agit de confirmer que Jésus est prophète (contrairement à ce qu’en pense Simon au début du récit) et de proclamer que le pardon divin est accordé sans autre condition qu’une vraie repentance adressée à Dieu par l’intermédiaire de Jésus.

Évidemment la proclamation du pardon divin n’est recevable que si Jésus est prophète. La trame du récit se doit de le montrer.

On sait comment : Jésus manifeste qu’il a le charisme de deviner les pensées de son hôte. Celui-ci ne peut pas en douter, pas plus que les témoins du miracle de Naïm ne purent s’empêcher de rapprocher Jésus du grand Élie. Ce même Simon doit donc logiquement estimer que Jésus a raison quand il interprète le geste de la femme pécheresse comme un geste de reconnaissance pour le fait d’avoir été pardonnée – ce qui n’a rien d’évident.

4. Une parabole

40 Prenant la parole, Jésus lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. » –  « Parle, maître », répond-il. 41 « Un créancier avait deux débiteurs ; l’un devait cinq cents deniers, l’autre cinquante. 42 Comme ils n’avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’en aimera le plus ? » 43 Simon répondit : « Celui-là, je pense, auquel il a fait grâce de plus. » Il lui dit : « Tu as bien jugé. »

 

L’histoire est simple ; elle met en comparaison les réactions respectives de deux personnes bénéficiaires de la largesse d’un même personnage, mais à proportion inégale.

500 deniers correspondent à 500 jours de salaire ! Une somme énorme…

Le créancier annule les dettes respectives sans exiger des débiteurs aucune compensation même pas sous forme de promesse.

La conclusion est celle-ci : celui qui a davantage reçu manifeste davantage de reconnaissance au donateur.

Application à l’attitude de la femme : ses gestes sont la manifestation de sa reconnaissance parce qu’elle croit qu’elle a été pardonnée. Autrement dit, le fait d’avoir accès à Jésus est le signe que Dieu nous a précédemment réconciliés. Attention : on corrige ainsi l’interprétation qui consisterait à dire que la femme est pardonnée parce qu’elle a manifesté de l’amour ; le geste précèderait le pardon ; le pardon serait la récompense au geste.

5. Croisement de regards

Derrière les gestes féminins se trouve une intuition, elle aussi toute féminine. La femme a en effet pressenti que Jésus de Nazareth répondrait très sûrement à son attente et se laisserait approcher et toucher – au sens pratique et affectif. Simon, lui, demeurant à un niveau sociologique et moral, s’interdit ce genre d’intuition.

Or, dans ce récit, l’évangéliste note l’importance du regard, et il le fait à partir de celui de Simon. S’il y a dialogue, c’est parce qu’il y a confrontation de regards. L’un des convives propose la conversion du regard de son interlocuteur.

On est en effet en présence du croisement de différents types de regards correspondant à la manière dont les trois personnages principaux sont en relation de jugement les uns à l’égard des autres : a) celui de Simon sur la femme pécheresse, regard d’accusation ; b) celui de la femme sur Jésus, regard plein d’attente car sûr d’être exaucé ; c) celui de Simon sur Jésus, lui déniant le rôle de prophète ; d) celui de Jésus sur la femme, ne voyant en elle que l’amour ; e) celui de Jésus sur Simon, dont il ne nous est rien dit sinon peut-être derrière la manière dont il lui parle. Plus exactement, s’il y a cinq regards différents et non six, c’est parce qu’il n’y a pas échange de regards entre Simon et la femme.

À la fin du récit, le lecteur doit évaluer lequel de ces regards est le bon tandis qu’il ne saura pas si Simon a modifié le sien.

6. Évangile du pardon divin

Jésus est prophète ; il l’a démontré. Quel est donc son message dans le récit présent ? Il est celui-ci : la femme a été pardonnée du fait qu’elle a manifesté le regret de son péché et a fait une démarche de foi auprès de Jésus (« Ta foi t’a sauvée ! »), sûre qu’il serait le médiateur de sa réconciliation (« Va en paix ! »).

Un tel enseignement se comprend d’autant mieux qu’on le situe dans le contexte de la confrontation entre l’Évangile et la piété des pharisiens. Un élément particulièrement significatif de cette confrontation est que Jésus proclame que le pardon est déjà accordé sans autre condition que la repentance et la foi qu’il en est le médiateur. Dit de manière négative, Dieu pardonne désormais sans obligation de pratique de la Torah ni de rite sacrificiel d’expiation. Jésus n’exige pas de la femme qu’elle démontre sa fidélité à la Loi comme condition préalable au pardon.

7. La femme, bénéficiaire privilégiée du salut

L’évangile de Luc est par excellence l’évangile des femmes disciples, on le sait. C’est particulièrement frappant ici, puisqu’on apprend que Jésus va délibérément à contre-sens de la culture de son peuple du fait même qu’il se laisse toucher par une femme et plus encore par une femme de mauvaise vie. Le récit insiste sur le caractère concret de la relation entre la femme et Jésus en décrivant à loisir les gestes dont elle a l’initiative. F. Bovon fait remarquer qu’ils ne sont pas privés de caractère érotique – suffisamment mesuré et intégré dans la situation pour être acceptable. Dénouer la chevelure du linge qui serre ensemble les cheveux, c’est déjà une invitation !

Au charisme prophétique de Jésus on peut mettre en correspondance l’intuition profonde de la femme percevant en elle l’effet du pardon. Si une telle interprétation est exagérée, on relèvera au moins sa certitude que ce Jésus de Nazareth est disposé à l’accueillir, elle pécheresse publique, avec ses gestes hyper-féminins.

Ajoutons que la femme n’en reste pas à une intuition : celle-ci s’exprime de manière concrète. Jésus ne fait qu’interpréter des gestes. De fait, la femme ne parle pas en mots mais en gestes seulement, en larmes, en parfums. Son audace est immense, mais elle ne prend pas le risque de faire une brèche dans la conversation des hommes attablés. De fait, ceux-ci peuvent voir tout en parlant ; l’homme qui a vu peut, s’il le veut, quand il le veut, stopper la conversation et s’occuper de ce qu’il voit. C’est Jésus qui décide d’introduire le geste de la femme au niveau de la parole échangée entre les convives. Parce qu’il sait que, sans le dire, son hôte l’a déjà introduit mentalement.

Face à l’intuition féminine, le jugement moral du pharisien. Entre les deux, l’Évangile a fait son choix.

8. Questions pour aller plus loin

1/ Qu’est-ce que le cadre d’un banquet apporte de particulier comme lieu ou mode d’enseignement ?

 

2/ Montrer comment le dialogue est construit à partir de quatre formes de regards différents en fonction des trois personnages directement concernés.

 

3/ Comment interpréter le fait que le récit commence par qualifier l’hôte de Jésus par le qualificatif de « pharisien », et cela à quatre reprises, puis continue en le désignant par son prénom, Simon ? Le fait que ce soit dans la bouche de Jésus que nous apprenons le nom du pharisien a-t-il une signification particulière ?

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P
éclairage passionnant de ce texte.
Répondre
B
Heureux si j'ai pu vous rendre ce passage plus familier... Bonne continuation à vous!

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