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Biblissimo

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Vous trouverez ici des documents visant à une meilleure connaissance de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Ils représentent le fruit de recherches personnelles. Je les mets à votre disposition en vous demandant de respecter les droits d'auteur. Bon travail!


Des profondeurs de nos coeurs. Compte-rendu critique

Publié par Biblissimo sur 22 Janvier 2020, 10:12am

Catégories : #Sacerdoce, #Benoît XVI

Je rendrai compte ici de mon point de vue critique sur les origines du ministère sacerdotal dans l’Église chrétienne telles que les présente l'ouvrage "Des profondeurs de nos cœurs", publié par Nicolas Diat chez Fayard et sorti en librairie le 13 janvier 2020. L'auteur principal en est le cardinal Sarah; la participation du pape émérite Benoît XVI est indiscutable pour le premier des deux chapitres, intitulé pompeusement "Le sacerdoce catholique" mais non pour l'introduction et la conclusion, contrairement à ce qu'affirme l'éditeur aux pages 25 et 173.1

Le résumé que donne Benoît XVI de la relation entre l'enseignement de Jésus tel qu'il est rapporté par les quatre évangiles et l'ensemble des textes du Nouveau Testament est correct. Dans le contexte polémique que, malgré son intention, le pape émérite n'évite pas, la nette reconnaissance du "laïcat" de Jésus et des apôtres doit être soulignée. La réflexion sur le caractère purement profane de la condamnation et de la mise à mort de Jésus, sur une croix, est lourde de signification: les soldats romains "ne pensent absolument pas à poser un acte relevant du culte" (p. 38). On peut ajouter que les autorités sacerdotales juives eux-mêmes n'en avaient pas l'intention. La conviction qu'à l'origine de l'Eucharistie se trouve, dans l'intention fondamentale de Jésus, "la transformation d'un acte de cruauté humaine en un acte d'amour et d'offrande de soi" (ibid.), devient alors la base de la tradition chrétienne relative au sacerdoce de la Nouvelle Alliance. Cette conviction est développée quelques lignes plus loin: "Amour et sacrifice sont un. [...] Cette unité fondamentale repose sur la médiation constituée par la mort  et la résurrection de Jésus" (p. 39). Avec raison, le théologien peut être certain que "les ministères sacerdotaux d'Israël sont 'annulés' dans le service de l'amour" (p. 42).

A cet endroit, le lecteur attentif est surpris de lire une affirmation présentée de façon abrupte: Jésus "se présente lui-même comme Grand Prêtre", avec la conséquence que le sacerdoce d'Aaron s'en trouve dépassé (p. 39). L'explication qui suit ne laisse pas d'être fragile, car elle se développe en sautant, sans en justifier la validité, la période, décisive pour l'élaboration de la tradition, entre l'âge apostolique (de la Pentecôte aux années 60) et l'âge patristique. Ce qu'en retient Benoît XVI est la relecture christologique qu'Ignace et Clément de Rome opère du culte et de l'ordre sacerdotal vétérotestamentaires: "Nous assistons à l'émergence de l'interprétation christologique de l'Ancien Testament qui peut être considérée aussi comme une interprétation pneumatologique" (p. 41).

La clef de cette interprétation se trouve dans ce qui fait le cœur de l'espérance chrétienne: "La Croix de Jésus-Christ est l'acte d'amour radical dans lequel s'accomplit réellement la réconciliation entre Dieu et le monde marqué par le péché" (p. 42). Ainsi est fondée "la suprême adoration de Dieu" (ibid.): "La ligne 'catabatique' de la descente de Dieu et la ligne 'anabatique' de l'offrande de l'humanité à Dieu deviennent un acte unique... et le corps du Christ devient le nouveau Temple de Dieu lors de la résurrection" (ibid.). Malgré l'expression "suprême adoration de Dieu", qui me met mal à l'aise, je ne peux qu'approuver ce paragraphe.

Suit alors deux sauts particulièrement brusques: dans un premier temps, Benoît XVI estime incontournable d'annuler la critique que Luther a faite du sacerdoce catholique, puis il mentionne comment le concile Vatican II n'a pas explicitement relevé le défi consistant à justifier théologiquement la légitimité du culte catholique, notamment autour de la célébration eucharistique (p. 43-48). Visiblement, son intention est de situer l'Eucharistie à la base de la théologie et de la pratique du sacerdoce ministériel, conception tout à fait classique.

Comment le pape émérite s'y prend-il? Dans un nouveau raccourci, après avoir rappelé que le ministère des prêtres d'Israël ne les occupait que pour des périodes limitées (p. 46-48), il présente comme fondamental le fait que la célébration eucharistique soit devenue une tâche quotidienne du ministre catholique et que cette situation change radicalement la conception du sacerdoce ministériel - conféré à ceux qui en ont reçu la vocation, et non plus par généalogie - de sorte que "leur vie entière est en contact avec le mystère divin" et que "cela exige de leur part l'exclusivité à l'égard de Dieu" (p. 48). Cela avec, pour conséquence automatique, l'exclusion des "autres liens qui, comme le mariage, embrassent toute la vie" (ibid.). En arrière-fond se trouve l'incompatibilité entre l'exercice du sacerdoce ministériel et celui de la vie conjugale, avec l'intimité que celle-ci implique: "l'abstinence sexuelle qui était [en Israël] fonctionnelle s'est transformée d'elle-même en une abstinence ontologique" (ibid.). Serait-ce mépriser la dignité du mariage? Certainement pas, selon Benoît XVI, car l'incompatibilité relève de l'exigence du don de soi total, soit dans la vie conjugale, soit dans l'exercice du ministère presbytéral. En effet, mieux encore que les lévites d'Israël, qui ne devaient vivre que de l'exercice du culte, n'étant pas héritiers de la terre sainte, "les prêtres de l’Église doivent vivre seulement de Dieu et pour lui", obligés de "renoncer à (leurs) centre de vie et (de) n'accepter que Dieu seul comme soutien et garant de (leur) propre vie" (p. 51-53).

Cette totale consécration du prêtre catholique est reprise avec insistance dans trois longues méditations, les deux premières basées sur deux textes vétérotestamentaires tirés du Deutéronome, la troisième sur un passage célèbre de la prière de Jésus placée en conclusion du discours d'adieux de l'évangile de Jean (Jn 17).

A propos de la demande que Jésus adresse à son Père pour ses disciples en Jn 17,17-18: "Sanctifie-les dans la vérité", Benoît XVI écrit: "Par le terme 'sanctifie', on peut comprendre de manière très concrète l'ordination sacerdotale, au sens où elle implique que le Dieu vivant revendique radicalement un homme pour le faire entrer à son service. [...] Le Seigneur prie le Père d'inclure les Douze dans sa mission, de les ordonner prêtres" (p. 69). De quel service s'agit-il? Les deux méditations précédentes l'ont défini: en rapprochant deux passages du Deutéronome définissant le prêtre comme celui qui se tient devant Dieu pour le servir (10,8 et 18,5-8) avec une formule appartenant à la prière eucharistique n° II, le pape émérite définit la nature du sacerdoce dans les mêmes termes que le Deutéronome, mais réinterprétés dans le mystère du Christ, parfait serviteur et Fils de Dieu.

Conclusion. Dans les 42 pages rédigées par Benoît XVI, la mission du prêtre est recentrée avec une ferveur marquée sur son identification au Christ Grand Prêtre et sur l'exigence de lui être totalement et radicalement consacré, sans laisser de place aux activités qui seraient contraires à la sainteté du culte, un culte exercé par amour et dans un esprit d'adoration et de service sans compromission. La responsabilité confiée au prêtre d'agir au nom du Christ, dans une attitude de serviteur, au cours de la célébration de l'Eucharistie est un élément clef de la réflexion.

On aurait attendu que le pape émérite prenne en compte le questionnement pastoral: on comprend cependant que, dans la logique de ce qu'il dit du sacerdoce ministériel catholique, ce questionnement apparaît vain, inutile. Il n'y a en effet pas de place pour un ministère presbytéral à temps partiel, si on peut qualifier ainsi le service qu'offrent les prêtres mariés dans les traditions catholiques orientales, notamment dans l’Église Maronite - est-il d'ailleurs encore acceptable?

Polémique, mais rédigé par une plume compétente, voici l'évaluation du P. de Clermont-Tonnerre, O.P.:

https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Croient-ils-vraiment-cest-lordination-dhommes-maries-mettre-danger-lEglise-catholique-2020-01-30-1201075197

 

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(1) A l'heure où j'écris, le document le plus fiable se trouve dans le site Aleteia, rendant compte de la réponse de Mgr Gänswein, Secrétaire particulier de Benoît XVI: https://fr.aleteia.org/2020/01/14/des-profondeurs-de-nos-coeurs-ce-qua-dit-le-secretaire-particulier-de-benoit-xvi/, consulté le 22/01/20.

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