La structure dynamique de la pensée de Paul

Le but de ce document est de donner des orientations utiles pour l’approfondissement de la pensée de Paul telle qu’il la présente dans ses lettres dites « authentiques » ou, mieux, « proto-pauliniennes ».

En effet, la pensée de Paul est caractérisée par un mouvement fortement marqué : l’évolution radicale depuis sa formation de Juif pharisien, formation revêtue de culture hellénistique, jusqu’à l’aboutissement de sa vision chrétienne – on peut parler d’une véritable « théologie ».

On ne prétend pas tout connaître de la pensée de Paul : on est conscient que ses lettes ne représentent qu’une partie de sa doctrine, de ses options de pasteur, de son lien personnel avec Dieu dans le Christ et l’Esprit Saint. On espère seulement mieux comprendre comment est fondée sa pensée telle qu’elle se présente dans les lettres qui nous sont parvenues.

Pour être sérieuse, une telle entreprise tient compte des résultats des analyses historiques sur le milieu du judaïsme du premier siècle de l’ère chrétienne, sur les facteurs de développement des traditions chrétiennes de l’époque apostolique, et sur les problèmes littéraires liés à la composition et à la rédaction de certaines lettres pauliniennes. Non seulement, on mettra de côté les lettres dites « pastorales » et la Deuxième lettre aux Thessaloniciens, mais on situera certains passages de la Deuxième lettre aux Corinthiens, lettre composite, comme se référant à une situation spécifique, à une étape différente de celle dont témoigne le début et la fin de la lettre.

La pensée de Paul se développe autour de 6 facteurs différents, partiellement opposés ou complémentaires :

1- La formation initiale, principalement juive et de tradition pharisienne, secondairement hellénistique.

2- Le kérygme apostolique combattu en tant que doctrine blasphématoire en fonction des critères d’orthodoxie du judaïsme officiel.

3- Le kérygme apostolique reçu par révélation divine ayant fait de Paul un témoin disposant de toutes les prérogatives d’un apôtre et confirmé par l’initiation reçue à l’occasion du baptême et son insertion dans la communauté de Damas puis d’Antioche.

4- La réflexion personnelle, à la fois puissante et indépendante, dans le sens d’un approfondissement original et décisif des éléments fondamentaux de la tradition reçue, à savoir principalement : la théologie de la mort-résurrection du Christ comme cause du salut (la valeur rédemptrice de la mort en croix), la mise à l’écart de la Loi de Moïse en faveur d’une « loi de l’Esprit », la réappropriation de la conception traditionnelle du Jour du jugement (la Parousie, ou seconde venue, glorieuse, du Christ Seigneur), le rôle nécessaire mais délicat des apôtres et des anciens pour l’unité des communautés (les églises) comme de l’Église (corps du Christ).

5- L’accompagnement et le soutien de l’Esprit Saint, source d’inspiration, de sagesse, indispensable du fait du « Mystère » que représente le dessein de Dieu dans le Christ (Rm 11, 33). Voir notamment : 1 Co 2, 6 – 3, 4 ; 12, 1-3.

6- Le savoir acquis par l’expérience personnelle (la prière, la méditation, les épreuves), les questionnements suscités par les multiples sollicitations pastorales, et les échanges et confrontations avec d’autres membres de l’Église, connus ou inconnus. J.-N. Aletti propose d’expliquer la profondeur et les particularités de Colossiens comme étant le fruit d’une réflexion commune entre Paul et ses collaborateurs.

À cela, il faut ajouter :

On ne peut entrer dans la pensée de Paul sans prendre en compte sa manière de penser. Voici les traits qui caractérisent le mode de réflexion de Paul par rapport à la nôtre :

- Paul argumente avec les méthodes héritées des rabbins : gezerah shawa ; qal wa-homer ; accomplissement typologique ; interprétation par le moyen des commentaires de type midrashiques, notamment par le recours à la Haggada (légendes insérées dans les récits de la Torah pour en faire apparaître des nuances et des implications nouvelles – voir 1 Co 1, 1-4).

- Paul utilise dans plusieurs macro-sections de ses lettres (notamment 1 Co, Ga, Rm) les règles de composition héritées des techniques oratoires que les Grecs ont codifiées pour la réussite des discours, la « rhétorique ». Cf. Aristote, Poétique, et, plus tard, Quintilien, Institutions oratoires.

- le zèle de Paul le conduit à s’exprimer au moyen d’exagérations, de simplifications, notamment dans les sections de type parénétiques (exhortations) ou polémiques (voir sa manière de définir la Loi en Rm 1 – 8).